Aller au contenu

Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parce qu’ils foulent aux pieds ses lois les plus saintes à chacun presque de leurs actes ou de leurs propos. La frivole indifférence avec laquelle des millions de gens du peuple, la légèreté spirituelle avec laquelle certaines intelligences brillantes considèrent la plus sublime péripétie de l’histoire universelle, qui non seulement se déroule sous leurs yeux, mais les entraîne tous et détermine chaque mouvement de leur vie, prouve suffisamment combien peu capables ils sont d’un saint respect et d’une vraie adoration. Qu’est-ce que la religion a plus en horreur que le présomption effrénée avec laquelle les dominateurs du peuple bravent les lois éternelles du monde ? Que recommande-t-elle plus expressément que la modération réfléchie et humble, dont il ne semble pas y avoir en eux le moindre sentiment qui leur fasse entendre ses appels. Qu’y a-t-il de plus sacré pour elle que la haute Némésis[1] dont, en proie au vertige de leur aveuglement, ils ne comprennent pas les interventions les plus terrifiantes. Dans le pays où les châtiments alternants qui, pour remplir des peuples entiers du respect et de la crainte que doit inspirer l’Être céleste, et pour vouer des siècles durant les œuvres des poètes à la mise en lumière de l’éternel destin, ne pouvaient autrefois frapper que des familles isolées, dans le pays où ces sanctions se renouvellent en vain sous mille formes [18] diverses, quel serait là le sort ridicule d’une voix solitaire qui se perdrait sans avoir été le moins du monde remarquée ou même entendue ?

C’est ici, dans notre patrie, que règne le climat favorisé sous lequel aucun fruit ne se refuse complètement à mûrir ; ici, vous trouvez épandu tout ce qui est pour l’humanité une parure ; ici tout ce qui est de nature à prospérer prend quelque part, dans des manifestations partielles tout au moins, une forme capable d’atteindre à sa beauté suprême ; ici ne manquent ni la sage modération ni la contemplation recueillie. C’est donc ici que la religion doit trouver un abri sûr contre la lourde bar-

  1. L’auteur reproche donc aux Français de ne pas savoir interpréter les péripéties de leur Révolution comme les tragiques grecs ont su interpréter la destinée légendaire des Atrides ; c’est beaucoup demander des contemporains immédiats d’une telle tragédie. En 1821, aucune adjonction mentionnant Chateaubriand et son Génie du christianisme, 1802.