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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/134

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barie et l’esprit froidement terrestre de notre époque.

Mais ne me rejetez pas sans m’entendre au rang de ceux que vous regardez de haut, les jugeant grossiers et incultes, comme si le sens du sacré avait passé, tel une mise démodée, à la classe inférieure du peuple, à qui seule il conviendrait encore de se laisser, dans un sentiment de respect craintif et de foi, saisir et entraîner par l’invisible. À l’égard de cette classe de nos frères vous êtes très amicalement disposés, et vous trouvez bon qu’on leur parle aussi de choses d’un autre ordre, plus haut, de moralité, de droit, de liberté, et qu’ainsi, par moments tout au moins, leur aspiration intime soit relevée et orientée dans le sens d’un bien supérieur, que soit éveillée en eux une impression de ce qui fait la dignité de l’homme.

Donc, qu’avec eux aussi on s’entretienne de la [19] religion, qu’on transperce parfois tout leur être jusqu’à ce qu’on ait atteint le point où gît caché cet instinct sacré ; que de cet instinct sacré on fasse jaillir quelques éclairs dont ils seront ravis ; qu’on leur ouvre, du centre le plus intime de leur étroite limitation, une perspective sur l’Infini, et que pour un instant on les élève de leur sensualité bestiale à la haute conscience de ce qu’est une volonté humaine, une existence humaine. Ce sera toujours beaucoup de gagné.

Mais, je vous le demande, est-ce à eux que vous vous adressez quand vous voulez découvrir les rapports réciproques les plus intérieurs et le principe le plus haut de ces biens sacrés de l’humanité ? Quand vous voulez poursuivre jusqu’à leur source commune le concept et le sentiment, la loi et l’action, et présenter le réel comme éternel et fondé nécessairement dans l’essence même de l’humanité ? Ne suffirait-il pas vraiment que vos sages fussent alors compris des meilleurs seulement parmi vous ? Eh bien, c’est là ce que précisément je me propose ici au sujet de la religion. Je ne veux pas faire ressentir des impressions particulières qui peut-être sont de son domaine ; je ne veux pas justifier ou combattre des façons de voir particulières. Ce que je voudrais, c’est vous conduire jusqu’au sein des plus intimes profondeurs d’où jaillit la voix qui est son premier [20] appel à l’âme, c’est vous montrer de quelles dispositions fondamentales de l’homme elle sort,