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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/136

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même. Je ne veux vous demander que d’apporter dans ce mépris un haut degré de culture et de perfection.

Cherchons, je vous prie, quel en a été le point de départ exact. Provient-il de particularités, ou du tout ? De divers genres ou aspects de la religion tels qu’ils ont existé dans le monde, ou du concept lui-même ? Sans doute quelques-uns se déclareront mus par cette dernière raison, et ceux-là sont en général toujours les contempteurs qui, [22] ardents sans raison au combat, y vont de leur propre impulsion, et ne se sont pas donné la peine d’acquérir une connaissance exacte de la chose telle qu’elle est.

Vous pensez que les pivots de toute religion sont la crainte à l’égard d’un Être éternel d’une part, et d’autre part le calcul fondé sur la croyance en un autre monde ; et cela vous est d’une façon générale odieux. Mais dites-moi donc, très chers amis, d’où tenez-vous ces notions de la religion qui sont l’objet de votre mépris ? Toute expression, toute œuvre de l’esprit humain peut être considérée et connue d’un double point de vue. Si on la considère en partant de son centre à elle, d’après sa nature intime, c’est un produit de la nature humaine, fondé sur ce qu’a de nécessaire un des modes d’activité de celle-ci, ou un de ses instincts, appelez cela comme vous voudrez, je ne veux pas en ce moment me prononcer sur votre terminologie. Si on considère cette manifestation de l’esprit humain du dehors, d’après l’allure et la figure déterminées qui ont été les siennes ici et là, c’est un produit de l’époque et de l’histoire[1].

Et maintenant dites-moi, de quel côté avez-vous considéré ce grand phénomène spirituel, pour en venir aux notions que vous donnez comme la teneur commune de tout ce qu’on a, à travers tous les temps, [23] appelé du nom de religion ? Il vous sera difficile de dire que

  1. La différence posée ici entre la vie de l’âme instinctive, spontanée, intérieure, et ses manifestations extérieures, conditionnées par les conjonctures spéciales et les circonstances accidentelles du moment, de l’histoire, cette différence est de la même nature que celle entre le virtuel et ses réalisations nécessairement incomplètes, entre l’infini et ses manifestations finies nécessairement imparfaites ; cette différence jouera un grand rôle dans l’opposition statuée plus loin par Schleiermacher, et constamment sous-jacente dans ces Discours, entre la religion pure d’une part, la religion dite naturelle et les religions positives d’autre part.