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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/144

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Même le droit ne doit pas avoir besoin de la moralité, qui lui est cependant beaucoup plus proche, pour s’assurer la domination la plus illimitée dans son domaine ; il doit avoir son existence propre par et pour lui-même. Le législateur doit pouvoir l’instituer partout, et quiconque soutient que cela n’est possible que par adjonction de religion[1] — en admettant que se laisse adjoindre arbitrairement ce qui n’existe qu’en tant que jailli de l’âme — celui-là soutient du même coup que seuls devraient légiférer ceux qui s’entendent à verser dans l’âme humaine l’esprit de la religion, et dans quelle sombre barbarie d’âges impies cela ne nous ferait-il pas retomber[2] ! Or la moralité doit avoir tout aussi peu à partager avec la religion. Celui qui fait une différence entre ce monde-ci et celui d’au delà se dupe lui-même ; tous ceux du moins qui ont de la religion ne croient qu’à un seul monde[3].

Si donc l’aspiration au bien-être est chose étrangère à la moralité, cela doit valoir pour ce qui viendra plus tard comme pour ce qui a précédé, le respect craintif à l’égard de l’Éternel ne doit pas compter plus que celui à l’égard d’un homme sage. Si [35] par chaque adjonction qu’on lui fait la moralité perd son éclat et sa solidité, combien sera-ce davantage le cas par celle d’un élément qui ne peut jamais renier sa couleur de haut ton et d’origine étrangère. Mais vous avez suffisamment entendu parler ainsi les défenseurs de l’indépendance et de la toute puissance des lois morales. Ce que j’ajoute, moi, c’est que c’est aussi faire preuve du plus grand mépris à l’égard de la religion que de vouloir la transplanter dans un autre domaine, pour qu’elle y serve et y travaille. Elle ne voudrait d’ailleurs pas davantage dominer dans un empire étranger, car elle n’est pas assez avide de conquêtes pour vouloir agrandir le sien.

La puissance qui lui revient, et qu’elle mérite et s’acquiert à chaque instant de nouveau, lui suffit, et pour

  1. Indem Religion mitgeteilt wird.
  2. Dans la note 5 de 1821 l’auteur explique qu’il entend par là la théocratie, condamnée à son avis par le christianisme, dont une tendance essentielle d’après lui va à la séparation de l’Église et de l’État. Il ne manque pas une occasion de manifester en faveur de cette séparation.
  3. Affirmation bien abrupte du monisme de Schleiermacher.