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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/145

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elle, qui considère tout comme sacré, bien plus sacré encore que tout le reste est ce qui a le droit d’occuper le même rang qu’elle dans la nature humaine[1]. Mais ces gens-là veulent qu’elle serve, au sens propre du mot, qu’elle ait un but, qu’elle se montre utile. Quel abaissement ! Et ses défenseurs devraient chercher avidement à l’y faire tomber ? Ceux qui visent tant à l’utilité, et aux yeux de qui pourtant moralité et droit aussi ont finalement leur raison d’être dans un avantage extérieur à eux, que ne préfèrent-ils sombrer eux-mêmes dans ce cycle éternel d’universelle [36] utilité dans lequel ils laissent sombrer tout ce qui est bien, et dont aucun être humain, qui veut être quelque chose pour lui-même et en lui-même, ne comprend un traître mot, plutôt que de vouloir s’ériger en défenseurs de la religion, dont ils sont précisément les plus malhabiles à soutenir la cause ? Belle gloire pour la Céleste, si elle pouvait comme cela gérer passablement les affaires terrestres ! Beaucoup d’honneur pour la Libre, l’Exempte de souci, si elle pouvait être quelque chose de plus vigilant et stimulant que la conscience morale ! Ce n’est pas encore pour cela qu’elle vous descendra du ciel. Ce qui n’est aimé et estimé qu’en raison d’un avantage extérieur à soi peut bien avoir sa nécessité, mais n’est pas nécessaire en soi, peut toujours rester à l’état de pieux désir, et ne point passer à celui d’existence ; un homme raisonnable n’y attache aucune valeur extraordinaire, mais seulement le prix qui convient à la chose. Et pour la religion ce prix serait assez minime. Moi du moins je n’offrirais qu’une pauvre somme, car je dois l’avouer, je ne crois pas qu’il y ait à faire si grand état soit des mauvaises actions qu’on veut qu’elle ait empêchées, soit des bonnes qu’on veut qu’elle ait produites[2].

Si donc là était tout ce qui peut lui procurer [37] le respect, je ne veux rien avoir à faire avec sa cause. Même pour se contenter de la recommander en passant, c’est trop insignifiant. Une gloire présomptueuse, qui disparaît quand on la considère de plus près, ne peut pas être un

  1. C’est-à-dire la moralité et le droit. La note 6 de 1821 précise les idées de l’auteur sur le rapport hiérarchique entre ces facteurs humains et la religion.
  2. Le jugement le plus dépréciatif énoncé dans ces Discours sur le rôle moral de la religion.