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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/155

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tient à la métaphysique et à la morale, et restitue tout ce qu’on lui a incorporé de force. Elle ne cherche pas à déterminer et expliquer l’univers d’après sa nature à lui comme fait la métaphysique ; elle ne cherche pas à le perfectionner et l’achever par le développement de la liberté et du divin libre-arbitre de l’homme ainsi que fait la morale. En son essence, elle n’est ni pensée ni action, mais contemplation intuitive et sentiment. Elle veut contempler intuitivement l’Univers ; elle veut l’épier pieusement dans les manifestations et les actes qui lui sont propres ; elle veut se laisser, dans une passivité d’enfant, saisir et envahir par ses influences directes. Ainsi donc elle est l’opposé de la métaphysique et de la morale dans tout ce qui constitue son essence [51] et dans tout ce qui caractérise ses effets. Les deux autres ne voient dans tout l’univers que l’homme comme centre de toutes les connexions, comme condition de toute existence et cause de tout devenir. Elle veut, elle, dans l’homme, non moins que dans tout autre être particulier et fini, voir l’Infini, le décalque, la représentation de l’Infini.

La métaphysique part de la nature finie de l’homme ; tablant sur l’idée la plus simple qu’on peut se faire de celle-ci, et sur la portée de ses forces et de sa réceptivité, elle entend déterminer consciemment ce que l’univers peut être pour lui et comment il doit nécessairement le voir. La religion vit toute sa vie également dans la nature, mais dans la nature infinie de l’ensemble, de l’un et tout ; ce que, au sein de celle-ci, vaut tout ce qui est particularisé, et par conséquent aussi l’homme, et où peut se jouer leur rôle à tous, actif et passif, dans cette éternelle fermentation de formes et d’êtres particularisés, c’est là ce que la religion s’applique, en se donnant avec calme toute à cette tâche, à contempler et pressentir dans le détail du particularisé.

La morale part de la conscience de la liberté ; elle veut élargir à l’infini le domaine de celle-ci et tout lui subordonner. La religion respire là où la liberté elle-même est déjà redevenue nature ; elle prend l’homme par delà le jeu de ses forces particulières [52] et de sa personnalité, et le considère du point de vue où il faut qu’il soit ce qu’il