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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/167

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par religion[1]. Si vous ne comprenez pas cela, que toute activité[2] doit être morale, j’ajoute que cela vaut aussi pour tout le reste[3]. L’homme doit agir avec calme, et quoi qu’il entreprenne, que cela s’accomplisse dans un esprit réfléchi et avisé. Interrogez l’homme moral, le politique, l’artiste, tous diront que c’est là leur premier précepte. Mais le calme et la sagesse réfléchie s’évanouissent quand l’être humain se laisse pousser à l’action par les sentiments violents et bouleversants de la religion.

Il n’est d’ailleurs pas naturel qu’il en arrive ainsi, par les sentiments religieux, de par leur nature, paralysent l’énergie de l’homme, et invitent celui-ci à la passivité de la calme jouissance. C’est pourquoi aussi les hommes les plus religieux, à qui manquaient d’autres stimulants d’activité, et qui n’étaient que religieux, abandonnaient le monde, et s’adonnaient complètement à la contemplation oisive[4]. L’homme doit se contraindre lui-même, et contraindre ses sentiments pieux, pour qu’ils lui arrachent des actes, et je n’ai qu’à m’en référer à vous : c’est une des accusations que vous formulez, que tant d’actes dépourvus de sens et contraires à la nature aient été amenés de cette façon. Vous voyez que je n’abandonne pas à votre jugement ces actes-là seulement, mais aussi les [70] plus excellents et les plus louables. Que des usages insignifiants soient pratiqués ou que, de bonnes œuvres soient accomplies, que des êtres humains soient immolés sur des autels sanglants ou qu’ils soient comblés de bonheur par une main bienfaisante, que la vie se passe dans une morne oisiveté ou soumise aux lois d’un ordre lourdement oppressif et sans goût, ou encore dans l’exubérante légèreté des plaisirs des sens : ce sont là choses assurément aussi différentes que le ciel l’est de la terre si la question est posée sur le plan de

  1. Dans la rédaction très modifiée de ces pages en 1806, cette pensée est maintenue, avec renversement dans l’ordre et la hiérarchie des deux termes : rien ne doit être fait par religion, mais tout doit être fait avec religion.
  2. Ou « action », Handeln.
  3. Rien dans les rééditions ne précise le sens de cette remarque.
  4. Comme ses contemporains en général, Schleiermacher ne tient pas compte de la tendance et de l’aptitude à de hautes activités pratiques qui ont distingué et illustré de grands et de grandes mystiques.