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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/173

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le plus intime sanctuaire de la religion, je ne vous conduis à elle que comme à son parvis le plus extérieur[1]. Ni la crainte à l’égard des forces matérielles que vous voyez travailler activement sur cette terre, ni le plaisir que l’on prend aux beautés de la nature corporelle, ne doivent et ne peuvent vous donner la première intuition du monde et de son esprit. Ce n’est pas dans la foudre du ciel ou dans les flots terrifiants de la mer que vous devez apprendre à connaître l’Être tout puissant, ni dans l’émail des fleurs ou dans l’éclat du rouge couchant l’Être aimable et plein de bonté. Il est possible que cette crainte et cette heureuse jouissance aient toutes deux préparé d’abord les fils plus frustes de la terre à la religion ; mais ces formes d’affectivité ne sont en elles-mêmes pas la religion. Tous les pressentiments de l’invisible qui sont venus à l’homme par cette voie étaient non pas religieux mais philosophiques ; ce n’étaient pas des intuitions de ce monde et de son esprit, — car ce ne sont que des aperçus sur ce qui est particularisé, incompréhensible et incommensurable, — c’était une recherche et une investigation de la cause et [79] de la force primordiale.

Il en est de ces débuts incultes dans la religion comme de tout ce qui s’accorde avec la simplicité primitive de la nature. Tout cela n’a la force d’émouvoir ainsi l’esprit et l’âme qu’aussi longtemps que cette simplicité existe encore ; peut-être cela atteindra-t-il de nouveau, transfiguré par l’art et par le libre exercice de la volonté, au sommet de la perfection, mais c’est là un sommet que nous n’avons pas encore atteint ; sur la voie qui y conduit par la culture, tout cela s’estompe et s’évanouit inévitablement, et heureusement, car cela ne ferait qu’entraver le cheminement de cette culture. C’est la voie sur laquelle nous nous trouvons engagés, et par conséquent aucune religion ne peut nous venir par ces émotions : de l’esprit et de l’âme. Le grand but de tout le zèle avec lequel nous nous appliquons à faire la culture[2] de la terre n’est-il

  1. À partir d’ici et jusqu’à la p. 89 il sera traité du monde physique considéré comme manifestation de l’Univers.
  2. Bildung, il s’agit donc d’une sorte de culture morale, d’éducation de la terre ; à rapprocher du souhait exprimé p. 231, de voir les progrès du machinisme affranchir l’homme de certaines de ses servitudes matérielles et lui ménager ainsi plus de temps pour la vie spirituelle.