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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/174

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pas que la domination des forces de la nature sur l’homme soit anéantie, et que cesse toute crainte à leur égard ? Comment pouvons-nous par conséquent contempler intuitivement l’Univers dans ce que nous tendons à subjuguer et avons en partie déjà subjugué ? Les foudres de Jupiter ne nous effraient plus depuis que Vulcain nous a confectionné un bouclier contre elles ; Vesta abrite ce qu’elle a obtenu subrepticement de Neptune contre les coups les plus furieux de son trident, et les fils de Mars s’unissent à ceux d’Esculape pour nous garantir contre les traits les plus promptement mortels d’Apollon. C’est ainsi que [80] ces dieux, dans la mesure où c’est la crainte qui leur avait donné corps, s’anéantissent l’un l’autre, et depuis que Prométhée nous a enseigné à soudoyer tantôt l’un tantôt l’autre, l’homme domine, souriant en vainqueur, la mêlée de leur guerre générale.

Aimer l’Esprit du monde et contempler joyeusement son activité, voilà le but de notre religion, et il n’entre pas de crainte dans l’amour. Il n’en est pas autrement des beautés de ce globe terrestre, que l’homme encore enfant entoure d’un si fervent amour. Qu’est ce jeu délicat des couleurs qui réjouit votre œil dans tous les aspects du firmament, et tient votre regard attaché avec tant de complaisance sur les aimables produits de la nature végétale ? Qu’est-il, non dans votre œil, mais dans et pour l’Univers ? Car c’est ainsi que vous devriez poser la question si vous voulez qu’il soit quelque chose pour votre religion. Il disparaît, apparence fortuite, sitôt que vous pensez à la matière partout répandue dont il accompagne les développements. Réfléchissez que vous pouvez dans une cave obscure dépouiller la plante de toutes ses beautés, sans détruire sa nature ; réfléchissez que ce magnifique éclat, dans les pampres duquel toute votre âme vit en communion, consiste uniquement en ceci que les mêmes torrents de lumière se réfractent autrement dans une plus vaste [81] mer de vapeurs terrestres ; réfléchissez que les mêmes rayons du milieu du jour, dont vous ne supportez pas l’aveuglant éclat, apparaissent déjà aux hommes de l’orient comme le rougeoiement papillotant du couchant, — et vous devez pourtant tenir compte de ces faits si vous voulez considérer ces choses dans la