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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/175

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totalité de l’ensemble, — vous trouverez alors que ces phénomènes, si fortement qu’ils vous émeuvent, ne sont cependant pas propres à ouvrir des vues intuitives sur le monde.

Peut-être un jour, élevés à un degré supérieur, trouverons-nous répandu et dominant dans toute l’étendue du monde, ce qu’ici sur terre nous avons le devoir de nous soumettre, et un saint frisson nous saisira-t-il alors tout entiers devant l’unité de la force corporelle aussi et son omniprésence ; peut-être découvrirons-nous un jour avec surprise dans cette apparence aussi le même esprit qui anime le tout ; mais ce sera autre chose, et plus haute, que cette crainte et cet amour, et maintenant les héros de la raison parmi vous n’ont pas matière à moquerie comme si l’on voulait les conduire à la religion par l’abaissement sous la matière morte et par une poésie vide ; d’autre part, les âmes sensibles ne doivent pas croire qu’il soit, si facile d’y atteindre. Assurément il y a quelque chose de plus essentiel que cela à contempler intuitivement dans la nature corporelle. L’infini de celle-ci, les masses énormes [82] éparses dans cet espace hors de proportion avec la portée de notre regard, et qui parcourent des orbites échappant à nos mesures, cela sans doute jette l’homme à genoux dans le respect qu’inspirent la pensée et la vue du monde. Seulement, je vous en prie, les sentiments que vous éprouvez alors, ne les faites pas rentrer dans la religion. L’espace et la masse ne constituent pas le monde, et ne sont pas la substance de la religion ; chercher là l’Infini, c’est une façon de penser enfantine. Quand on n’avait pas encore découvert la moitié de ces mondes, alors qu’on ne savait même pas du tout encore que des points lumineux étaient des mondes, l’univers n’était pourtant pas moins magnifique à contempler qu’à présent, et le contempteur de la religion n’avait pas davantage d’excuses. Le corps le plus limité n’est-il pas à cet égard aussi infini que ces mondes ? L’incapacité de vos sens ne peut pas faire l’orgueil de votre esprit, et quel cas l’esprit fait-il de nombres et de grandeurs, alors qu’il peut en résumer tout l’infini en petites formules et fonder là-dessus des calculs comme sur les données les plus insignifiantes ? Ce qui en fait parle à l’esprit religieux dans le monde