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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/177

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Vous voyez que l’irrégularité[1], qu’on veut souvent faire servir à la réfutation de la religion, a au contraire pour celle-ci, dans l’intuition du monde, une plus grande valeur que l’ordre qui s’offre d’abord à nos regards, et qui peut se déduire de la vue d’une plus petite partie. C’est pourquoi dans la religion des anciens, ce n’étaient que des divinités inférieures, des vierges du rang de servantes, qui exerçaient le contrôle sur ce qui se répète uniformément et dont la règle était déjà trouvée ; mais les exceptions que l’on ne comprenait pas, les révolutions pour lesquelles il n’y avait pas de lois, c’est cela qui était l’œuvre du père des Dieux. Les perturbations dans le cours des astres suggèrent l’idée d’une unité plus haute, d’une corrélation plus hardie, que celles que suffit à nous faire percevoir la régularité de leurs orbites, et les anomalies, les jeux sans but de la nature plastique nous contraignent à voir qu’elle traite ses formes les plus strictement déterminées avec un arbitraire, et pour ainsi dire avec une fantaisie, [85] dont nous ne pourrions découvrir la règle que d’un point de vue supérieur. Que nous sommes loin encore de celui qui serait le point de vue suprême, et combien incomplète reste par conséquent pour nous cette vue intuitive du monde ! Considérez la loi conformément à laquelle partout dans le monde, aussi loin que s’en étend votre vision, ce qui est vivant se comporte à l’égard de ce qui, par rapport à lui, est à tenir pour mort ; voyez comme tout s’alimente, et incorpore de force dans sa vie la substance morte ; voyez comme de tous côtés se pressent de notre rencontre les provisions accumulées pour tout ce qui vit, lesquelles ne sont pas substance morte, mais substance elle-même vivante et qui partout se reproduit de nouveau ; voyez comme, en dépit de la diversité des formes de la vie et de la masse énorme de matière que chacune consomme par alternances, chacune a cependant ce qui lui suffit pour parcourir le cycle de son existence, et ne succombe qu’à un destin interne, non à une insuffisance extérieure. Quelle profusion infinie se révèle ici, quelle richesse surabondante ! De quelle émotion nous saisit l’impression que nous font et cette prévoyance maternelle, et l’enfantine confiance en une douce vie à

  1. B substitue cette précision à l’indéterminé « ce » de A.