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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/179

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monde formé, pénétré et plein de la divinité, et un. Complètement dépourvus de toutes les connaissances qui magnifient notre siècle, cette vue de l’Univers ne manquait cependant déjà pas aux plus vieux sages de la Grèce : preuve évidente du degré auquel tout ce qui est religion dédaigne toute aide extérieure et s’en passe facilement. Si cette façon de voir s’était étendue des sages au peuple, qui sait quelle grandiose allure aurait prise sa religion ?

Mais qu’est l’amour et qu’est la répugnance ? Qu’est l’individualité et qu’est l’unité ? Ces notions, et ce n’est que par elles que la nature devient pour vous à proprement parler intuition du monde, les tenez-vous de la nature ? N’ont-elles pas leur origine à l’intérieur de l’âme[1] et n’est-ce pas en partant de là qu’elles sont interprétées relativement à la nature[2] ? C’est pourquoi aussi c’est vers l’âme que regarde en réalité la religion, et c’est de là qu’elle tire des intuitions du monde ; l’Univers se reflète dans la vie intérieure, ce n’est que par l’intérieur que [88] l’extérieur[3]. devient compréhensible. Mais l’âme aussi doit, si l’on veut qu’elle produise et nourrisse de la religion, être vue intuitivement dans un monde[4]. Laissez-moi vous découvrir un secret qui gît caché[5] dans un des documents les plus anciens de la poésie et de la religion[6].

Aussi longtemps que le premier homme fut seul avec lui-même et la nature, sans doute la divinité régnait au-dessus de lui et lui parlait de diverses façons, mais il ne la comprenait pas, car il ne lui répondait pas ; son paradis était beau, et d’un beau ciel descendait sur lui l’éclat des étoiles, mais le sens nécessaire pour comprendre le monde ne s’ouvrait pas en lui et ne jaillissait pas non plus de

  1. Gemüt.
  2. Ou « à l’Univers » ; c’est ainsi je pense qu’il faut interpréter le auf jenes, qui ne pourrait avoir comme antécédent grammatical que das Innere des Gemüts, auquel la logique de la pensée ne permet pas de le rapporter.
  3. B remplace « intérieur » et « extérieur » par « nature spirituelle » et « corporelle ».
  4. B : agir sur nous en tant que monde et dans un monde.
  5. B ajoute ici « presque » caché.
  6. Je n’ai pas su trouver où le protestant romantique a pris cette légende, et aucun des commentateurs que j’ai pu consulter ne donne ce renseignement ; intéressante serait la comparaison avec l’interprétation donnée par Baader de la création de la femme ; cf. Susini, Franz von Baader et le romantisme mystique, II, 358-63.