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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/187

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vous pensiez ainsi, sentiez ainsi, agissiez ainsi, où vous étiez vraiment cet homme-ci ou celui-là, malgré toutes les différences de sexe, de culture et d’entourage [99] extérieur. Vous avez vraiment revêtu successivement, dans l’ordre qui vous est propre, toutes ces figures ; vous êtes vous-mêmes un compendium de l’humanité ; votre personnalité embrasse en un certain sens toute la nature humaine, et celle-ci, dans toutes les formes qu’elle prend, n’est que votre moi propre, multiplié, plus distinctement diversifié, et pérennisé dans toutes ses modifications. Celui chez qui la religion s’est ainsi frayé la voie du retour en elle-même, et qui là aussi a trouvé l’Infini, pour celui-là, elle est à présent complète à cet égard ; il n’a plus besoin de médiateur pour n’importe quelle intuition de l’humanité, et peut en être un lui-même pour beaucoup.

Mais vous ne devez pas contempler l’humanité dans son être seulement, vous devez la contempler aussi dans son devenir ; elle aussi a une plus vaste carrière, qu’elle parcourt non pas régressivement, mais progressivement ; elle aussi est conduite par ses changements internes à un état supérieur et plus parfait. Ces progrès, la religion ne veut pas, comme on pourrait l’imaginer, les hâter ou les diriger ; elle prend son parti que le fini ne puisse agir que sur le fini ; elle ne veut que les observer, et y voir une des plus grandes activités de l’Univers.

Relier [100] les uns aux autres les divers moments de l’humanité, et deviner, en le dégageant de leur succession, l’esprit qui dirige le tout, c’est là sa tâche la plus haute. L’histoire, au sens le plus propre du mot, est l’objet le plus haut de la religion ; celle-ci commence avec l’histoire et finit avec elle, — car à ses yeux la prophétie est aussi de l’histoire, et les deux ne sont pas à distinguer l’une de l’autre — et même, toute véritable histoire a eu d’abord partout un but religieux, et est partie d’idées religieuses. C’est aussi dans son domaine qu’ont leur siège les intuitions les plus hautes et les plus sublimes de la religion. Ici vous voyez la pérégrination des esprits et des âmes, qui ailleurs semble n’être qu’une délicate fiction poétique, vous apparaître en plus d’un sens comme un merveilleux moyen ménagé par l’Univers en vue de la