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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/216

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Telle est la fin[1] de tout enseignement et de toute éducation procédant d’un dessein intentionnel dans ce domaine. Montrez-moi un homme à qui vous avez inculqué et inoculé jugement, esprit d’observation, sens de l’art, ou moralité. Alors, je me ferai fort d’enseigner aussi la religion.

Oui sans doute il y a en elle une hiérarchie de maîtres et de disciples ; il y a des individus auxquels viennent s’en rattacher des milliers. Mais cette adhésion n’est pas une imitation aveugle, et ces disciples ne sont pas disciples parce que le maître les a faits tels : il est leur maître parce qu’ils l’ont eux choisi comme tel[2]. Celui qui, par les manifestations de sa propre religion, a éveillé la religion chez d’autres, n’a après cela plus pouvoir sur ceux-ci [142] pour les retenir près de lui ; leur religion à eux aussi est libre, du moment qu’elle vit, elle suit sa propre voie. Sitôt que l’étincelle sacrée flambe dans une âme, le feu s’élargit en flamme libre et vivante qui puise son aliment dans sa propre atmosphère. Cette flamme illumine pour l’âme plus ou moins toute l’étendue de l’Univers, et l’âme peut à son gré établir son siège assez loin aussi du point où elle a d’abord été enflammée pour sa nouvelle vie[3]. Contrainte, par le seul sentiment de son impuissance et de sa finitude, de s’installer dans une région déterminée quelconque, elle choisit, sans devenir pour cela ingrate à l’égard de son premier guide, le climat, n’importe lequel qui lui agrée le plus ; là, elle se cherche un centre, elle se meut sur sa nouvelle voie par libre auto-limitation, et donne le nom de maître à celui qui le premier a adopté la région qu’elle préfère, qui le premier en a montré la splendeur, en a fait sa disciple par choix propre et libre amour.

Ce n’est donc pas que je veuille vous former, vous ou d’autres, pour la religion, ou vous enseigner comment vous devez vous y former vous-mêmes, à dessein ou avec méthode : ce serait sortir du domaine de la religion, à

  1. Das Ziel peut signifier « le but » ou « le résultat final ».
  2. Dans la note 1 de 1821, Schleiermacher veut établir que cette affirmation n’est pas en contradiction avec la parole du Christ : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi qui vous ai choisis », Jean XV, 16.
  3. Texte de B. A disait, moins cohérent : où elle a eu sa première vision d’elle-même.