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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/215

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l’enseignement [140] religieux est un terme absurde et vide de sens. Nous pouvons fort bien communiquer à d’autres nos opinions et nos doctrines : nous n’avons besoin pour cela, nous que de mots, et eux, que de la force d’esprit nécessaire pour comprendre et imiter. Mais nous savons très bien que ce ne sont là que les ombres de nos intuitions et de nos sentiments, et ceux qui ne partagent pas avec nous ces intuitions et ces sentiments ne comprendraient pas ce qu’ils disent et ce qu’ils croient penser. Nous ne pouvons pas leur enseigner à voir intuitivement ; nous ne pouvons pas faire passer de nous en eux la force et la capacité nécessaires, pour, en présence de n’importe quels objets, aspirer d’eux partout, et insuffler à notre organe, la lumière originelle de l’Univers. Nous pouvons peut-être stimuler le talent mimique de leur imagination créatrice assez pour qu’il leur devienne facile, si des intuitions de la religion leur sont dépeintes en couleurs vigoureuses, de produire en eux quelques émotions qui ressemblent de loin à ce dont ils voient nos âmes remplies. Mais cela pénètre-t-il leur être ? Est-ce là de la religion ?

Si vous voulez comparer notre sens pour l’Univers avec celui qu’on a pour l’art, il ne vous faut pas, considérant ces détenteurs de ce qu’on peut appeler une religion passive, les opposer à ceux qui, sans produire eux-mêmes des [141] œuvres d’art, sont cependant émus et saisis par chacune de celles qui s’offrent à leur intuition. Car les œuvres d’art de la religion sont exposées toujours et partout ; le monde entier est une galerie de tableaux[1] religieux, et tout homme se trouve placé au milieu de ce musée. Non, ceux avec qui vous devez comparer ces détenteurs de religiosité passive, ce sont ceux chez qui une impression ne peut être éveillée qu’en leur administrant, comme un stimulant médicinal, des commentaires et des fantaisies sur l’art[2], et qui même alors ne veulent que balbutier, dans une langue technique mal comprise, quelques mots inadéquats, où il n’y a rien qui vienne d’eux.

  1. Ansichten, proprement « vues ».
  2. Les Fantaisies sur l’art de Tieck et Wackenroder paraissent la même année 1799 que les Discours ; elles sont animées d’un esprit tout proche, et ne peuvent donc pas être visées ici dans une intention ironique.