Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/224

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en général un coin insignifiant : quelque mauvaise image, quelque caricature philosophique. Si néanmoins, comme cela arrive parfois afin que même à ceux-là se révèle la toute-puissance de l’Univers, quelque rayon traversant cet objet frappe [154] leurs yeux ; si leur âme alors ne peut se défendre contre un faible éveil de ces sentiments, l’Infini n’est pas le but vers lequel elle vole pour s’y reposer ; il n’est, comme le terme d’une carrière, que le point autour duquel elle se meut avec la plus grande rapidité possible pour pouvoir revenir, le plus tôt sera le mieux, à sa vieille place. La naissance et la mort sont de ces points saillants, à la vue desquels ne peut nous échapper comme notre propre moi est enveloppé de tous côtés par l’Infini, et qui inspirent toujours une nostalgie silencieuse et un saint respect. Ce que l’intuition sensible a d’incommensurable est pourtant aussi une invite tout au moins à penser à un autre Infini plus haut. Mais pour eux rien ne serait préférable à la possibilité d’utiliser le plus grand diamètre aussi du système des mondes comme on fait aujourd’hui de la plus grande circonférence de la terre, pour mesurer et peser les choses de la vie ordinaire, et si l’intuition de la vie et de la mort les saisit une fois, quelle que soit alors l’abondance de leurs propos sur la religion, croyez-m’en, rien en toute occasion de ce genre ne leur tiendra plus à cœur que de gagner quelques jeunes gens à l’art de prolonger la vie[1].

Ces gens entendus sont suffisamment punis sans doute. En effet, [155] comme leur point de vue n’est pas assez élevé pour qu’ils construisent tout au moins eux-mêmes, d’après des principes, cette sagesse de la vie à laquelle ils tiennent, ils ne peuvent que se mouvoir servilement et respectueusement dans les limites de formes anciennes, ou prendre leur plaisir à de mesquines améliorations. Là est la pointe extrême de l’utile, vers laquelle notre époque s’est précipitée à grands pas, venant de l’inutile et scolastique sagesse de mots, barbarie nouvelle, digne pendant

  1. Texte de B ; A disait : « à Hufeland ». Hufeland, médecin, biologiste et professeur à Iéna puis à Berlin, 1762-1836, a publié entre autres un ouvrage intitulé Macrobiologie ou l’art de prolonger la vie, 1797, dont le succès fut très grand et durable en Allemagne, et qui a été traduit dans beaucoup de langues, la traduction française a connu au moins deux éditions, en 1824 et 1837.