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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/235

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gion. Restez indissolublement attachés à votre poste, à votre œuvre, jusqu’à ce que vous ayez pénétré au cœur le plus intime de la connaissance, et ouvert, dans un sentiment d’humilité sacerdotale, le sanctuaire de la vraie science, où tous ceux qui s’y présentent, et les fils de la religion eux aussi, trouvent le remplacement de tout ce que leur a fait perdre une demi-science et l’outrecuidante vanité qu’on en tirait. La morale, vêtue de sa chaste et céleste beauté, exempte de jalousie et de fatuité despotique, leur tendra elle-même à l’entrée la lyre céleste et le miroir magique, pour accompagner d’accents divins la grave et silencieuse formation de l’esprit[1] qu’elle accomplit en silence, et pour voir celle-ci toujours la même sous des formes innombrables à travers la totalité de l’Infini. La philosophie, élevant l’homme à la conception de ses rapports de réciprocité agissante avec le monde, et lui enseignant à se reconnaître non seulement comme créature mais comme créateur, ne souffrira pas plus longtemps que, sous ses yeux, languisse, pauvre et besogneux, celui qui tient son œil fermement tourné vers soi-même, pour chercher là l’Univers. La vétilleuse barrière séparatrice est tombée. Tout ce qui est en dehors de cet observateur[2] n’est qu’autre chose en lui, tout est reflet de son esprit, de même que son esprit n’est que le décalque [172] de tout ; il lui est permis de se chercher dans ce reflet, sans se perdre ou sortir de lui-même ; il ne peut jamais s’épuiser dans la contemplation de lui-même, car tout se trouve en lui. La physique[3] place celui qui promène autour de lui son regard d’intuitif pour voir l’univers, elle le place hardiment au centre de la nature, et ne souffre pas plus longtemps qu’il se disperse infructueusement et s’arrête à de petits détails isolés. Il ne fait dès lors que suivre le jeu de ces forces de la nature jusque dans leur domaine le plus secret, des inaccessibles entrepôts de la matière mobile jusqu’aux ingénieux laboratoires de la vie organique ; il mesure leur puissance, depuis les frontières de l’espace générateur de mondes jusqu’au centre de son propre moi, et se trouve partout en éternel conflit

  1. « De l’esprit » est une adjonction, nécessaire, de B.
  2. Le texte dit trop vaguement « de lui ».
  3. Remplacé dans B par « les sciences naturelles ».