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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/249

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arrivés à prendre conscience de leur religion et pour lesquels [192] la conception religieuse de la vie est devenue une de celles qui prédominent en eux. Or, j’espère vous avoir convaincus que ce doivent être là des hommes d’une certaine culture et d’une grande énergie, que par conséquent ils ne peuvent jamais être que très peu nombreux. Vous n’avez donc sûrement pas à chercher leur groupement dans les lieux où des centaines sont assemblés dans de grands temples, et où leur chant frappe de loin déjà votre oreille. Vous le savez bien, des hommes de cette espèce ne se trouvent pas si proches les uns des autres. Peut-être même n’est-ce que dans de petites communautés isolées, pour ainsi dire exclues de la grande Église, que l’on peut trouver quelque chose de semblable, resserré en un espace déterminé. Mais ce qui est certain, c’est que tous les hommes vraiment religieux, pour autant qu’il y en a jamais eu, ont porté en eux non seulement la croyance mais le sentiment vivant d’un semblable groupement et y ont vraiment vécu, et que tous ont su estimer ce qu’on appelle communément l’Église à sa valeur, c’est-à-dire particulièrement haut[1].

Cette grande communauté que visent à proprement parler vos dures inculpations, il faut savoir que, loin d’être une société d’hommes religieux, elle n’est bien plutôt qu’une [193] association d’êtres qui en sont encore à chercher la religion, et c’est pourquoi je trouve très naturel qu’elle soit opposée presque en tous points à celle formée d’hommes déjà religieux. Pour vous rendre la chose aussi distincte qu’elle l’est à mes yeux, je devrai malheureusement descendre dans une foule de détails des choses de ce monde terrestre, et me frayer un chemin à travers un labyrinthe des erreurs les plus étranges. Je ne le fais qu’à contre-cœur, mais, soit, il faut pourtant que vous tombiez d’accord avec moi. Peut-être la forme tout à fait différente de la sociabilité religieuse dans l’une et l’autre société suffira-t-elle, quand j’aurai attiré sur

  1. On voit ressortir ici avec une particulière netteté une des contradictions dont l’auteur concilie mal les termes dans ces Discours : fidèle à son culte pour les conventicules moraves, tout en reconnaissant l’impossibilité pour les véritables Églises de vivre sur ce modèle, il ne peut cependant pas se retenir de leur en vouloir de ne pas être conformes à cet idéal.