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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/295

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Vous voyez que ces formes existantes n’empêchent, du fait de leur antériorité, aucun homme d’élaborer pour lui-même une religion conforme à sa nature propre et à son sens. Habitera-t-il une des préexistantes ou s’en bâtira-t-il une à lui ? Cela dépend uniquement de l’intuition de l’Univers qui le saisit d’abord avec la vivacité voulue. D’obscurs pressentiments qui, sans pénétrer jusqu’au fond de l’âme, disparaissent de nouveau sans avoir été vraiment connus, tout homme sans doute en sent fréquemment, tôt ou tard, flotter autour de lui ; ils peuvent résulter de propos entendus et restent des faits isolés sans conséquences ; ils ne sont d’ailleurs rien d’individuel. Mais s’il arrive à quelqu’un que son [263] sens pour l’Univers s’ouvre, pour toujours, dans un état de claire conscience et dans une intuition déterminée, ce quelqu’un-là dès lors rapporte tout à cette intuition ; c’est autour d’elle que pour lui tout s’organise ; sa religion est déterminée par le moment où il l’a eue.

Vous ne direz pas, j’espère, que cela puisse être influencé par quelque chose de naturel ou d’héréditaire ; et vous ne penserez pas non plus que la religion d’un être humain lui soit moins particulière, soit moins à lui, parce qu’elle se situe dans une région où déjà plusieurs sont assemblés[1]. Quand bien même avant lui, avec lui et après lui, des milliers d’êtres ont pour point de départ de leur vie religieuse la même intuition, cette vie sera-t-elle en tous la même ? Et la religion prendra-t-elle chez tous la même figure ? Rappelez-vous donc que, dans chacune des formes déterminées de la religion, ce n’est pas seulement un nombre limité d’intuitions se rapportant à la même façon de voir et même relation avec une seule qu’on doit permettre, mais toute leur innombrable quantité : cela n’offre-t-il pas à chacun une liberté de jeu suffisante ? Pas une seule de ces religions, que je sache, n’a réussi jusqu’ici à occuper et posséder tout son domaine et à tout déterminer et tout modeler conformément à son esprit. Il n’a été accordé qu’à peu d’entre elles, au temps de leur liberté [264] et du meilleur de leur vie, de bien façonner, jusqu’à lui donner sa forme achevée, ce qui est le

  1. Noter la teinte volontairement biblique de l’expression, Matthieu XVIII, 20.