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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/302

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religieux estimable et vigoureux que les adhérents de religions positives, non sans s’étonner de ce phénomène déclaraient être un adhérent de la religion naturelle ; mais, à considérer les choses de près, ces derniers ne le reconnaissaient plus pour l’un des leurs ; il s’était toujours déjà quelque peu départi de la pureté originelle de la religion naturelle, et avait admis dans la sienne quelques éléments arbitraires et positifs, que n’admettaient pas les adeptes de celle en question, parce que c’était trop différent de la leur. Pourquoi les partisans de la religion naturelle se méfient-ils de quiconque introduit quelque chose de particulier dans sa religion ? Ils veulent également eux tous être uniformes — mais, à l’opposé de l’extrême contraire, je veux dire, celui des sectateurs d’une religion positive, ils veulent l’être dans l’indéterminé. Il est si peu possible de penser à une formation particulière, personnelle, dans la religion naturelle, que ses plus authentiques adeptes n’admettent même pas que la religion de l’homme doive avoir son histoire [274] à elle, et débuter par un fait mémorable. Cela est déjà trop pour eux, car la modération est pour eux la chose principale en religion, et quiconque se trouve avoir à raconter de lui-même un fait de ce genre est par là déjà suspect d’avoir une disposition au fâcheux mysticisme[1]. L’homme doit devenir religieux peu à peu, comme il devient avisé et sensé, et tout ce qu’il doit être d’autre ; tout cela doit lui venir par l’effet de l’enseignement et de l’éducation ; il ne doit y avoir là-dedans rien qui puisse être tenu pour surnaturel, ou même seulement pour singulier.

Je ne veux pas dire que la constatation de ce fait, que l’enseignement et l’éducation doivent y être tout, me porte à soupçonner la religion naturelle d’être très particulièrement atteinte de ce mal qu’est un mélange avec la philosophie et la morale, ou, ce qui est plus grave, une transformation de la religion en philosophie et morale. Mais il est pourtant clair que ses adeptes ne sont pas partis d’une quelconque intuition vivante, et qu’aucune non plus n’est leur centre fixe, parce que, entre eux, ils

  1. B remplace par Schwärmerei le Fanatismus de A qui, conformément à un usage assez répandu alors, avait déjà le même sens.