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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/307

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la religion, et de la comprendre tout à fait. Je vous avertis une fois encore de ne pas vouloir l’abstraire de ce qui est commun à tous ceux qui professent une religion positive : sur cette voie, vous vous égarez dans mille recherches vaines, et aboutissez finalement toujours non à l’esprit de la religion, mais à une certaine quantité de matière[1]. Il faut vous souvenir qu’aucune religion ne s’est jamais totalement réalisée, et que vous ne la connaissez que quand, loin de la chercher dans un espace restreint, vous êtes vous-mêmes en état de la compléter, et de déterminer ce que ceci et cela aurait dû devenir en elle, si son horizon s’était étendu jusque-là[2]. Vous ne pouvez pas vous pénétrer assez fortement de cette vérité que la condition dont tout dépend, c’est de trouver l’intuition fondamentale d’une religion, [282] que toute la connaissance du détail ne vous aide en rien tant que vous ne connaissez pas cette intuition, et que vous ne la connaissez que quand vous pouvez expliquer tout le détail par un seul principe. Et même munis de cette règle de recherche, qui n’est pourtant qu’une pierre de touche, vous serez encore exposés à mille errements ; beaucoup de choses se présenteront à vous d’elles-mêmes comme pour vous égarer à dessein ; beaucoup se mettront sur votre chemin pour attirer votre regard dans une fausse direction.

Avant tout, je vous prie de ne jamais perdre de vue la différence entre ce qui constitue la nature essentielle d’une religion particulière, dans la mesure où celle-ci est vraiment une forme et manifestation sensible de la religion en soi, et ce qui caractérise son unité en tant qu’école, et la maintient unie en tant que telle. Les êtres humains religieux sont absolument historiques[3], ce n’est pas

  1. Cf. p. 250-53.
  2. Il convient de noter cette remarque, plus raisonnable que d’autres, sur ce que le croyant peut créer dans le domaine de sa religion.
  3. L’auteur entend par là, ainsi que cela ressort de ce qui a précédé et de ce qui suit, que le croyant attache la plus grande importance à l’intuition personnelle qui a vivifié et déterminé sa religion ; or cette intuition personnelle est un fait qui s’est produit à un moment déterminé, dans certaines circonstances précises, ce qui l’apparente aux faits historiques. Schleiermacher avait lui-même des souvenirs de ce genre (cf. Correspondance, I, 33 et 294). À cela s’ajoute, pour les fidèles d’une religion positive, la révélation, historique au sens ordinaire du mot, à laquelle se rattache en général leur foi personnelle.