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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/315

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et retenu par le parcellaire et le fortuit, voulant toujours plus encore que contempler intuitivement, il perd de vue le but de ses regards. Toute révélation est faite en vain. Un esprit terrestre absorbe et engloutit tout, le principe irréligieux immanent entraîne et emporte tout ; et la Divinité prend toujours de nouvelles mesures et dispositions ; leur seule force fait surgir du sein même des vieilles révélations de nouvelles révélations toujours plus magnifiques ; elle dresse entre elle et les hommes des médiateurs toujours plus sublimes ; elle unit toujours plus étroitement le divin avec l’humain, dans chacun des émissaires ultérieurs, afin que par ceux-ci et de ceux-ci les hommes puissent apprendre à connaître l’Être éternel ; et jamais cependant fin n’est mise à la vieille plainte, qui toujours déplore que l’homme ne saisisse pas ce qui est d’esprit divin. Le fait que le christianisme, dans l’intuition qui constitue son principe fondamental le plus particulier, considère le plus souvent et le plus volontiers l’Univers dans le cadre de la religion et de son histoire, qu’il traite la religion elle-même en matière qu’il élabore de façon qu’elle puisse servir à la religion, qu’il est par conséquent pour ainsi dire [294] la religion à une puissance supérieure[1] : c’est là son caractère le plus distinctif, ce qui détermine toute sa forme.

Précisément parce qu’il suppose un principe irréligieux partout répandu, parce que ce fait constitue un élément essentiel de l’intuition à laquelle tout le reste est rapporté, le christianisme est de part en part animé d’un esprit de polémique.

Il est polémique dans sa manière de se communiquer au dehors, car pour rendre claire sa nature la plus intime, il doit dénoncer partout chaque corruption, qu’elle apparaisse dans les mœurs ou dans la pensée, et avant tout il doit dénoncer le principe irréligieux lui-même. C’est pourquoi il démasque sans ménagement toute fausse morale, toute religion défectueuse, toute malheureuse combinaison de l’une et l’autre par laquelle on cherche à dissimuler leurs défauts à toutes deux ; il pénètre jusqu’au fond le plus secret du cœur corrompu, et éclaire de la torche

  1. Dans le même esprit de potentialisation, les amis romantiques de Schleiermacher appelaient leur poésie « la poésie de la poésie ».