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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/316

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sainte de sa propre expérience tout vice qui rampe dans les ténèbres. C’est ainsi qu’il réduisit à néant, — ce fut presque sa première impulsion — la suprême attente de ses frères et contemporains les plus proches, et déclara irréligieux et impie de désirer ou attendre une autre restauration que celle tendant à la religion meilleure, à la vision supérieure des choses et à la vie éternelle en Dieu[1]. Il fait hardiment franchir aux païens la séparation qu’ils [295] avaient creusée entre la vie et le monde des dieux d’une part, des hommes d’autre part. À ses yeux, pour celui qui ne sait pas vivre, se mouvoir et être dans l’Éternel[2], pour celui-là l’Éternel est complètement inconnu, et celui qui, sous la masse des impressions et des désirs des sens, a perdu ce sentiment naturel, cette intuition interne, aucune religion n’a encore pénétré dans son esprit étroitement limité. Ses hérauts[3] ouvrirent ainsi partout de force les sépulcres blanchis, et produisirent à la lumière les ossements des morts[4], et s’ils avaient été des philosophes, ces premiers héros du christianisme, ils auraient tout aussi bien polémiqué contre la corruption de la philosophie. Assurément, ils n’ont méconnu nulle part les traits fondamentaux de l’image divine, assurément ils ont su voir, derrière toutes les déformations et dégénérescences, le germe céleste de la religion ; mais, en tant que chrétiens, le principal pour eux était l’éloignement qui s’est produit entre les individus et la Divinité, éloignement qui rend nécessaire un médiateur, et quand ils parlaient christianisme, ce n’est que cela qu’ils visaient.

Mais le christianisme est polémique aussi, avec tout autant d’acuité et de tranchant, à l’intérieur de ses propres frontières, et au plus intime de sa communion des saints. Nulle part la religion n’est aussi parfaitement idéalisée que dans le christianisme et cela par son propre postulat primordial ; et de là aussi résulte que la polé-

  1. Il a déjà été question plus haut, p. 290, de la fausse conception des Juifs au sujet du Messie.
  2. Utilisation pertinente du in eo vivimus, movemur et sumus de saint Paul aux Athéniens, Actes XVII, 28.
  3. Précision donnée par C à la place d’un « Ils » tout à fait indéterminé.
  4. Utilisation de Matthieu XXIII, 27.