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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/122

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reflète dans ses actions et dans leurs horreurs. L’État, qui ne vise qu’au bonheur général, entrave les manifestations de la volonté mauvaise, nullement la volonté elle-même, ce qui serait impossible. C’est pour cette raison qu’il est très rare qu’un homme aperçoive toute l’abomination de ses actes dans le miroir de ceux-ci. Ou croyez-vous vraiment que Robespierre, Bonaparte, l’empereur du Maroc, les assassins que vous voyez rouer, soient seuls si méchants parmi tous les hommes ? Ne comprenez-vous pas que beaucoup agiraient absolument comme eux, s’ils le pouvaient ?

Maints criminels meurent plus tranquillement sur l’échafaud, que maints innocents dans les bras des leurs. Ceux-là ont reconnu leur volonté, et l’ont écartée. Ceux-ci n’ont pu l’écarter, parce qu’ils n’ont jamais pu la reconnaître. Le but de l’État est de créer un pays de Cocagne en opposition avec la véritable fin de la vie : la connaissance de la volonté dans sa puissance terrible.

Bonaparte n’était réellement pas pire que beaucoup d’hommes, pour ne pas dire la plupart. Il était possédé du très habituel égoïsme qui cherche son bonheur aux dépens d’autrui. Ce qui le distingue, c’est simplement la force plus grande avec laquelle il satisfaisait à cette volonté, l’intelligence, la raison et le courage plus grands, et enfin le champ d’action favorable que lui ouvrit le destin. Grâce à tous ces avantagea, il fit pour son égoïsme ce que des milliers de gens voudraient bien faire pour le leur, mais ne peuvent pas. Tout faible garçon qui se procure, par de petites méchancetés, un mince avantage au détriment des autres, si