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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/137

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Il peut encore exister d’autres contradictions analogues, dont la vraie philosophie seule est en état de donner la solution.

Si l’esprit de l’espèce qui dirige deux amants s’exprimait chez eux en idées claires, au lieu de s’exprimer par des sentiments instinctifs, la haute poésie de leur dialogue amoureux, qui actuellement ne parle, en images romanesques et en paraboles idéales, que de sentiments éternels d’aspiration démesurée, de pressentiments d’une volupté sans bornes, d’une félicité ineffable, de fidélité éternelle, et qui célèbre en métaphores hyperboliques les perles des dents de la déesse qu’on adore, les roses de ses joues, le soleil de ses yeux, l’albâtre de son sein, ses dons intellectuels imaginaires, etc., — cette haute poésie se traduirait à peu près en ces termes :

Daphnis. — Je voudrais faire cadeau d’un individu à la génération future, et je crois que tu pourrais lui octroyer ce qui me manque.

Chloé. — J’ai la même intention, et je crois que tu pourrais lui donner ce que je n’ai pas. Voyons un peu.

Daphnis. — Je lui donne une haute stature et la force musculaire ; tu n’as ni l’une ni l’autre.

Chloé. — Je lui donne une chair opulente et de très petits pieds ; tu n’as ni l’une ni les autres.

Daphnis. — Je lui donne une fine peau blanche, que tu n’as pas.

Chloé. — Je lui donne des cheveux et des yeux noirs : tu es blond.

Daphnis. — Je lui donne un nez aquilin.