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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/144

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chaque rapport, d’abord par l’original, et seulement ensuite par la copie. Ainsi donc, au lieu de se hâter de ne leur donner que des livres, il faudrait les initier par degrés aux choses et aux circonstances humaines. Qu’on prenne soin avant tout de leur inculquer une conception nette de la réalité et de les amener à toujours puiser directement leurs notions dans le monde réel et à les former d’après cette réalité ; mais qu’ils n’aillent pas les chercher ailleurs, dans les livres, les contes, les discours d’autrui, pour les transporter ensuite toutes faites dans la réalité. Cela reviendrait à dire que, la tête pleine de chimères, ils concevraient, d’une part, faussement celle-ci, s’efforceraient inutilement, d’autre part, de la modeler d’après ces chimères, et tomberaient dans des erreurs théoriques ou même pratiques. Car on aurait peine à croire quel mal font les chimères implantées de bonne heure, et les préjugés qui en résultent. L’éducation postérieure, qui nous vient du monde et de la vie réelle, doit être principalement consacrée à leur extirpation. C’est le sens d’une réponse d’Antisthéne, qu’enregistre Diogène Laerce (Vies des philosophes, liv. IV, chap. VII) : ερωτηθεις τι των μαθηματων αναγκαιοτοτον, εφη, « το κακα απομαθειν ». (Comme on lui demandait quelle était la discipline la plus nécessaire : c’est de désapprendre les choses mauvaises, dit-il).

Comme les erreurs sucées de bonne heure sont en général indéracinables, et que le jugement ne mûrit qu’en tout dernier lieu, il faut épargner aux enfants jusqu’à seize ans toutes les études qui peuvent contenir une grande somme d’erreurs, philosophie, religion, vues générales de toute nature, et ne leur laisser cultiver