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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/160

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the sweetest morsel to the mouth, that ever was cooked in hell[1] » .

Je vais essayer maintenant d’expliquer psychologiquement la vengeance. Toutes les souffrances qui nous sont imposées par la nature, le hasard ou le destin, ne sont pas aussi douloureuses, cæteris paribus, que celles qui nous sont infligées par l’arbitraire des autres. Cela provient de ce que nous regardons la nature et le destin comme les maîtres originels du monde, et comprenons que les coups qu’ils nous ont portés peuvent être également portés à tout autre. Aussi, dans les cas de souffrances dérivées de ces sources, déplorons-nous plus le sort commun de l’humanité que notre propre sort. Au contraire, les souffrances infligées par l’arbitraire des autres sont une addition amère, d’une nature toute spéciale, à la douleur ou au tort causés : elles impliquent la conscience de la supériorité d’autrui, soit en force, soit en ruse, vis-à-vis de notre faiblesse. Le tort causé peut être réparé par un dédommagement, lorsque celui-ci est possible ; mais cette addition amère : « Il me faut subir cela de toi », souvent plus douloureuse que le tort même, ne peut être neutralisée que par la vengeance. En causant de notre côté du dommage, par force ou par ruse, à celui qui nous a nui, nous montrons notre supériorité sur lui et annulons par là la preuve de la sienne. Cela donne à l’âme la satisfaction à laquelle elle aspirait. En conséquence, là où il y a beaucoup d’orgueil ou de vanité, il y aura une ardente

  1. « La vengeance est pour la bouche le plus suave morceau qui ait jamais été cuit en enfer ».