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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/191

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côté intellectuel, mais aussi au côté moral, c’est-à-dire aux mouvements de la volonté. Elle accompagne ainsi la conversation, comme une basse correctement progressive accompagne la mélodie, et sert, de même que cette basse, à renforcer l’effet. Le caractère le plus intéressant de la gesticulation, c’est que, dès que la parole prend la même forme, il y a répétition des mêmes gestes. Il en est ainsi, quelque différente que puisse être la matière, c’est-à-dire la circonstance. De sorte que je puis très bien comprendre la signification générale, c’est-à-dire simplement formelle et typique d’une conversation animée, en regardant par la fenêtre, sans entendre un seul mot. Je sens infailliblement que la personne qui parle, argumente, expose ses raisons, puis les résume, insiste, tire une conclusion victorieuse ; ou bien elle rapporte quelque tort qu’on lui a causé, dépeint au vif et sur un ton d’accusation la dureté de cœur et la sottise de ses adversaires ; ou bien elle raconte comment elle a imaginé un plan superbe dont elle décrit le succès, à moins qu’elle ne se plaigne qu’au contraire ce plan n’ait pas réussi, par la faute du hasard, ou qu’elle n’avoue son impuissance dans le cas en question ; ou bien enfin elle narre qu’elle a vu clair à temps dans les machinations d’autrui, et, en affirmant ses droits ou en usant de sa force, les a déjouées et a puni leurs auteurs ; et mille autres choses semblables. Mais, ce que la gesticulation seule m’apporte en réalité, c’est la matière essentielle — morale ou intellectuelle — de la parole in abstracto. La quintessence, la vraie substance de celle-ci demeure identique au milieu des sujets les plus différents et aussi de la matière la plus différente, et se comporte à l’égard