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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/57

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anglicans des bords du Gange fassent de si pitoyables affaires, et, avec leurs sermons sur leur maker[1], ne

  1. Maker est l’allemand Macher, et, comme celui-ci, se trouve souvent dans les mots composés : watchmaker, shoemaker = Uhrmacher, Schuhmacher, etc. Or, l’expression : Our maker (en français : notre faiseur) remplace très souvent et très volontiers, dans les écrits, sermons, et la vie courante de l’Angleterre, le mot Dieu : chose que je prie de remarquer, comme très caractéristique pour la conception religieuse anglaise. Après cela, comment le brahmane, élevé dans la doctrine du Véda sacré, comment le vaisia, qui rivalise de zèle avec lui, comment enfin le peuple indou tout entier, pénétré de la croyance à la métempsycose et de la rémunération en dérivant, qui influencent chaque acte de sa vie, doivent-ils accueillir ces autres idées qu’on veut leur imposer, c’est ce que le lecteur instruit comprendra facilement.
      Passer de l’éternel Brahma, qui est présent en tous et en chacun, qui souffre, vit, et espère la délivrance, à ce maker du néant, c’est là une supposition étrange. On ne persuadera jamais aux Indous que le monde et l’homme sont un bousillage sorti de rien. Aussi est-ce à juste titre que le noble auteur du livre cité dit : « Les efforts des missionnaires resteront stériles ; nul Indou respectable ne cédera jamais à leurs exhortations » (p. 15). « Espérer que les Indous, pénétrés par les doctrines brahmaniques, dans lesquelles ils vivent et existent, les abandonneront jamais pour embrasser la manière de voir chrétienne, est, d’après moi, une espérance vaine » (p. 50). « Et quand le synode entier de l’Église anglaise s’attellerait à cette tâche, il ne réussirait pas, à moins que ce ne soit par la violence absolue, à convertir un homme sur mille, parmi l’immense population indoue » (p. 68). Combien la prédiction de Colebrooke s’est montrée juste, c’est ce dont témoigne, quarante et un ans plus tard, une longue lettre signée Civis, publiée dans le Times du 6 novembre 1849, et écrite par un homme qui a vécu longtemps dans l’Inde. On y lit entre autres choses : « Je ne connais pas un seul exemple d’un indou dont nous puissions nous faire honneur, qui se soit converti au christianisme ; pas un seul cas où celui-ci n’aurait été un reproche pour la croyance embrassée, un avertissement pour la croyance abjurée. Les prosélytes qu’on a faits jusqu’à présent, si peu nombreux qu’ils soient, ont donc tout bonnement servi à détourner les autres de suivre leur exemple ». Les assertions de cette lettre ayant été contestées, elles furent confirmées par une seconde lettre, signée Sepahee, publiée dans le Times du 20 novembre, où on lit : « J’ai servi plus de douze ans dans la présidence, de Madras, et, pendant ce long laps de temps, je n’ai jamais vu un seul individu qui se