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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/61

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Je pense que si l’empereur de Chine, le roi de Siam ou d’autres monarques asiatiques accordent aux puissances européennes la permission d’envoyer des missionnaires dans leurs pays, ils seraient absolument autorisés à ne le faire qu’à la condition de pouvoir envoyer dans les pays européens tout autant de prêtres bouddhistes, avec des droits égaux ; ils choisiraient naturellement à cet effet ceux qui sont déjà instruits à l’avance de la langue européenne à laquelle ils auraient à faire. Nous aurions alors sous les yeux une intéressante compétition, et verrions lesquels obtiendraient le plus de résultats.

La mythologie indoue elle-même, si fantaisiste et parfois baroque, qui constitue aujourd’hui, tout comme il y a des milliers d’années, la religion du peuple, n’est, si on la considère attentivement, que la doctrine des Upanishads allégorisée, c’est-à-dire revêtue d’images, et, par ce moyen, personnifiée et rendue mythique, de manière à être mise à la portée du peuple ; cette doctrine, chaque Indou, suivant la mesure de ses forces ou de son éducation, la devine, ou la sent, ou la soupçonne, ou la conçoit clairement, tandis que le révérend anglais grossier et borné, dans sa monomanie, la raille et la blasphème comme une idolatry, dans la croyance où il est de posséder seul la vérité. Le dessein du Bouddha Çakya Mouni était au contraire de séparer le noyau de la pelure, d’affranchir la haute doctrine elle-même de tout mélange d’images et de dieux, et de rendre son pur contenu accessible et saisissable même au peuple. Il y a merveilleusement réussi. Pour cette raison, sa religion est la plus excellente, celle qui est représentée sur la terre par le plus grand nombre d’adhérents. Il peut dire avec Sophocle :