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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/8

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évidente. Chacun son goût : mais, pour moi, je ne sais pas de plus belle prière que celle qui termine les anciennes pièces de théâtre indoues : « Puissent tous les êtres vivants rester exempts de douleurs ! »

Voilà le nœud de la doctrine éthique de Schopenhauer, telle qu’il la déduit dans le Fondement de la morale. La base de la morale est donc la sympathie vive, ardente, se traduisant en pitié, en charité effective. Mais ce n’est pas encore là le point culminant de la morale. On n’atteint celui-ci que par la négation complète de la volonté de vivre, par l’ascétisme, tel que l’ont pratiqué les saints, les anachorètes, les pénitents indous et chrétiens. « De même que la satisfaction de l’appétit sexuel affirme, chez l’individu, la volonté de vivre, de même l’ascétisme, en empêchant la satisfaction de cet appétit, nie cette même volonté, et montre par là que, en même temps que la vie du corps, cesse la volonté dont celui-ci est l’apparence ». En un mot, l’antithèse entre l’affirmation de la volonté de vivre et la négation de cette volonté est ce qu’on pourrait dénommer le belvédère de la morale de Schopenhauer : c’est de ce point de vue, le plus élevé, à son avis, qu’il juge et classe les actions humaines.

Hartmann, dans sa Philosophie de l’inconscient, a soumis cette théorie de son prédécesseur à une critique approfondie et incisive, qui est, en somme, bienveillante et approbative. Nietzsche, au contraire, l’a exécutée radicalement, avec un souverain mépris. La morale de la pitié proclamée par Schopenhauer lui apparaît, au meilleur cas, comme une touchante superstition à la vieille mode. Et, poussant plus loin la raillerie, l’auteur de Par delà le bien et le mal rappelle que Schopenhauer, le pessimiste, aimait à jouer de la flûte après ses repas. Est-ce là un pessimiste, se demande-t-il, celui qui affirme la morale du læde neminem (ne nuis à personne), et qui joue de la flûte ? Cette vue morale, d’après lui, appartient à la décadence en matière de morale. Les époques fortes et les civilisations avancées ne connaissent ni la pitié ni l’amour du prochain, et elles voient dans ce sentiment une preuve de faiblesse méprisable. On ne peut rêver contraste plus frappant entre l’idée de l’apologiste du