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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/9

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« surhomme » et celle du vieux philosophe pourtant bien désabusé, bien revenu de toutes les illusions humaines, que celui-là nommait l’un de ses maîtres.

Cette idée morale, ont avancé des critiques, nous transporte en plein Orient, et Schopenhauer n’a fait qu’interpréter à l’usage de l’Occident les enseignements des livres indous. Mais on peut leur répliquer tout aussi justement qu’il n’a fait qu’interpréter les enseignements des Évangiles. Son éthique est une tentative sérieuse d’application de la vertu chrétienne par excellence au principe moral établi sur une base philosophique. Sans intervention de dogme, de religion, de dieu, en vertu d’une métaphysique purement humaine, il affirme la bonté comme âme de la morale. Aucun des grands constructeurs d’éthiques modernes ne se rapproche aussi étroitement que lui, sous ce rapport, du christianisme. L’ « impératif catégorique » de Kant est infiniment plus éloigné des prescriptions chrétiennes que la morale de la compassion proclamée par Schopenhauer. Seulement, le point faible du système de ce dernier, c’est qu’il constitue bien plus une théorie spéculative qu’un fait vivant et fécond. Combien le système de Hegel, par exemple, offre-t-il un champ plus vaste aux manifestations de la volonté morale ! Chez Schopenhauer, c’est en réalité la souffrance seule qui est l’aiguillon de cette volonté. Base étroite, insuffisante pour laisser place aux manifestations si diverses, infinies, des actions humaines. L’idée morale maîtresse du pessimiste allemand ressemble étonnamment à l’idée morale de Tolstoï, si puissant comme romancier et conteur, souvent si naïf et si puéril comme philosophe et comme moraliste. Cette ressemblance n’a d’ailleurs rien d’étonnant, d’autant plus que, outre l’analogie de leurs natures, le Russe a beaucoup lu l’Allemand.

La philosophie tout entière, aux yeux de notre philosophe, est théorique, et la morale ne fait pas exception. La philosophie est simple spectatrice des choses, et la morale n’a rien à démêler avec les préceptes. Une morale non fondée en raison, celle qui consiste à « faire la morale aux gens », ne peut avoir d’action, parce qu’elle ne donne pas