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IVANHOÉ.

— Je ne suis pas née, mon père, dit-elle, misérable comme tu me vois aujourd’hui. J’étais libre, j’étais heureuse, j’étais honorée ! J’aimais et j’étais aimée ! Je suis maintenant une esclave misérable et dégradée ; j’ai été le jouet des passions de mes maîtres, tant que j’ai eu de la beauté ; quand elle s’est flétrie, je suis devenue l’objet de leur mépris, de leur dédain, de leur haine et de leur dérision. Tu peux être surpris, mon père, de la haine que je porte au genre humain, et surtout à la race qui a produit en moi cette transformation. Est-ce que la vieille sorcière ridée qui est devant toi, et dont la colère ne peut s’exprimer que par des malédictions impuissantes, peut oublier qu’elle fut autrefois la fille du noble thane de Torquilstone, sous le regard duquel tremblaient mille vassaux ?

— Toi la fille de Torquil Wolfganger ! s’écria Cédric en reculant de surprise ; toi, toi la fille de ce noble Saxon, l’ami, le compagnon d’armes de mon père !

— De ton père ! répéta Urfried ; c’est Cédric dit le Saxon que j’ai devant les yeux ! car le noble Hereward de Rotherwood n’avait qu’un fils, dont le nom est bien connu parmi ses compatriotes. Mais, si tu es Cédric de Rotherwood, pourquoi cet habit religieux ? As-tu désespéré de sauver ton pays ? As-tu cherché dans l’ombre d’un cloître un refuge contre la cruauté de son oppresseur ?

— N’importe qui je suis, répondit Cédric ; continue, malheureuse, ton récit composé d’horreurs et sans doute de crimes.

— Il y a un crime dans ma vie, répondit Urfried, un crime profond, noir et damnable, un crime qui pèse comme un poids sur ma poitrine, un crime que tous les feux de l’enfer ne pourront purifier ; oui, dans ce château teint du sang pur et noble de mon père et de mes frères, avoir vécu pour assouvir et partager les plaisirs de leur meurtrier, être à la fois son esclave et sa complice, c’est faire de chaque aspiration que j’empruntais à l’air vital un crime et une malédiction !