C’est toujours ainsi que cela arrive. (À part) Et que cela s’en va. (Haut.) Je suis seulement fâché que cela n’ait pas duré plus long-temps.
Mais ça n’est pas fini… Vous l’avez entendu… ils vont venir me prendre pour me mener en triomphe. Pardon, je vais m’occuper de ma toilette ; car, si je les faisais attendre, ils seraient inquiets ; ils croiraient que la cour m’a fait disparaître.
C’est vrai, et cela recommencerait.
Comme vous dites… ils m’aiment tant !… Aussi, ce soir, ce souper que je donne aux notables sera, je crois, d’un bon effet, parceque dans un repas on boit…
On s’anime.
On porte des toasts à Burkenstaff, au chef du peuple, comme ils m’appellent. Vous comprenez… Adieu, monsieur le comte.
Un instant, un instant… pour boire à votre santé il faut du vin, et ce que vous disiez tout à l’heure à votre femme.
C’est juste. Je l’oubliais. (Il passe derrière Rantzau et derrière le comptoir, et montre la porte qui est sous l’escalier[1].) J’ai là le caveau secret, le bon endroit où je tiens cachés mes vins du Rhin et mes vins de France. Il n’y a que moi et ma femme qui en ayons la clef.
C’est prudent. J’ai cru d’abord que c’était là votre caisse.
Non vraiment, quoiqu’elle y fut en sûreté. (Frappant sur la porte.) Six pouces d’épaisseur, doublée en fer ; et il y a une seconde porte exactement pareille. (Prêt à entrer.) Vous permettez, monsieur le comte ?
Je vous en prie… je monte au magasin. (Raton est descendu dans le caveau ; Rantzau s’avance vers la porte, la ferme et revient tranquillement au bord du théâtre, en disant :) C’est un trésor qu’un homme pareil, et les trésors… (montrant la clef qu’il tient.) il faut les mettre sous clef.
Scène XII.
Les voici… les voici… c’est superbe à voir, un cortège magnifique… les chefs des corporations avec leurs bannières, et puis de la musique. (On entend une marche triomphale, et l’on voit paraître la tête du cortège, qui se range au fond du théâtre, dans la rue, en face de la boutique.) Où est donc notre maitre ? là haut, sans doute (Courant à l’escalier.) Notre maître, descendez donc !… on vient vous chercher… m’entendez-vous ?
Et qu’est-ce que tu as encore à crier ?
Je crie après notre maître.
Il est en bas.
Il est en haut.
Je te dis que non.
Vive Burkenstaff ! vive notre chef !
Et il n’est pas là… et on va crier sans lui. (Aux deux garçons de boutique qui sont descendus.) Voyez, vous autres… parcourez la maison[2]…
Vive Burkenstaff !… qu’il paraisse !… qu’il paraisse !
Dans l’instant… on a été le chercher, on va vous le montrer. (Parcourant le théâtre.) Ça me fait mal… ça me fait bouillir le sang.
Nous ne l’avons pas trouvé.
Ni nous non plus… il n’est pas dans la maison.
Burkenstaff !… Burkenstaff !…
Voilà qu’on s’impatiente, qu’on murmure ; et après avoir crié pour lui, on va crier après lui. Ou peut-il être ?
Est-ce qu’on l’aurait arrêté de nouveau ?
Laissez donc ! après les promesses qu’on nous a faites ? (Se frappant le front.) Ah ! mon Dieu… ces soldats que j’ai vus rôder autour de la maison. (Courant au fond.) Et la musique du triomphe qui va toujours !… Taisez-vous donc. Il me vient une idée… c’est une horreur… une infamie !…
Qu’est-ce qui lui prend donc ?
Oui, mes amis, oui, on s’est emparé de notre maître… on s’est assuré de sa personne ; et pendant qu’on vous trompait par de belles paroles il était arrêté… emprisonné de nouveau. À nous, les amis !