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Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/21

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RANTZAU.

C’est toujours ainsi que cela arrive. (À part) Et que cela s’en va. (Haut.) Je suis seulement fâché que cela n’ait pas duré plus long-temps.

RATON.

Mais ça n’est pas fini… Vous l’avez entendu… ils vont venir me prendre pour me mener en triomphe. Pardon, je vais m’occuper de ma toilette ; car, si je les faisais attendre, ils seraient inquiets ; ils croiraient que la cour m’a fait disparaître.

RANTZAU, souriant.

C’est vrai, et cela recommencerait.

RATON.

Comme vous dites… ils m’aiment tant !… Aussi, ce soir, ce souper que je donne aux notables sera, je crois, d’un bon effet, parceque dans un repas on boit…

RANTZAU.

On s’anime.

RATON.

On porte des toasts à Burkenstaff, au chef du peuple, comme ils m’appellent. Vous comprenez… Adieu, monsieur le comte.

RANTZAU, souriant et le rappelant.

Un instant, un instant… pour boire à votre santé il faut du vin, et ce que vous disiez tout à l’heure à votre femme.

RATON, se frappant le front.

C’est juste. Je l’oubliais. (Il passe derrière Rantzau et derrière le comptoir, et montre la porte qui est sous l’escalier[1].) J’ai là le caveau secret, le bon endroit où je tiens cachés mes vins du Rhin et mes vins de France. Il n’y a que moi et ma femme qui en ayons la clef.

RANTZAU, à Raton qui ouvre la porte.

C’est prudent. J’ai cru d’abord que c’était là votre caisse.

RATON.

Non vraiment, quoiqu’elle y fut en sûreté. (Frappant sur la porte.) Six pouces d’épaisseur, doublée en fer ; et il y a une seconde porte exactement pareille. (Prêt à entrer.) Vous permettez, monsieur le comte ?

RANTZAU.

Je vous en prie… je monte au magasin. (Raton est descendu dans le caveau ; Rantzau s’avance vers la porte, la ferme et revient tranquillement au bord du théâtre, en disant :) C’est un trésor qu’un homme pareil, et les trésors… (montrant la clef qu’il tient.) il faut les mettre sous clef.

(Il monte par l’escalier qui conduit aux magasins et disparait.)

Scène XII.

JEAN, MARTHE.
JEAN, paraissant au fond, à la porte de la boutique, pendant que le comte monte l’escalier.

Les voici… les voici… c’est superbe à voir, un cortège magnifique… les chefs des corporations avec leurs bannières, et puis de la musique. (On entend une marche triomphale, et l’on voit paraître la tête du cortège, qui se range au fond du théâtre, dans la rue, en face de la boutique.) Où est donc notre maitre ? là haut, sans doute (Courant à l’escalier.) Notre maître, descendez donc !… on vient vous chercher… m’entendez-vous ?

MARTHE, paraissant sur l’escalier avec deux garçons de boutique.

Et qu’est-ce que tu as encore à crier ?

JEAN.

Je crie après notre maître.

MARTHE.

Il est en bas.

JEAN.

Il est en haut.

MARTHE.

Je te dis que non.

TOUT LE PEUPLE, en dehors.

Vive Burkenstaff ! vive notre chef !

JEAN.

Et il n’est pas là… et on va crier sans lui. (Aux deux garçons de boutique qui sont descendus.) Voyez, vous autres… parcourez la maison[2]

LE PEUPLE, en dehors.

Vive Burkenstaff !… qu’il paraisse !… qu’il paraisse !

JEAN, à la porte de la boutique et criant.

Dans l’instant… on a été le chercher, on va vous le montrer. (Parcourant le théâtre.) Ça me fait mal… ça me fait bouillir le sang.

PLUSIEURS GARÇONS, rentrant par la droite.

Nous ne l’avons pas trouvé.

D’AUTRES GARÇONS, redescendant du magasin.

Ni nous non plus… il n’est pas dans la maison.

LE PEUPLE, avec des murmures.

Burkenstaff !… Burkenstaff !…

JEAN.

Voilà qu’on s’impatiente, qu’on murmure ; et après avoir crié pour lui, on va crier après lui. Ou peut-il être ?

MARTHE.

Est-ce qu’on l’aurait arrêté de nouveau ?

JEAN.

Laissez donc ! après les promesses qu’on nous a faites ? (Se frappant le front.) Ah ! mon Dieu… ces soldats que j’ai vus rôder autour de la maison. (Courant au fond.) Et la musique du triomphe qui va toujours !… Taisez-vous donc. Il me vient une idée… c’est une horreur… une infamie !…

MARTHE.

Qu’est-ce qui lui prend donc ?

JEAN, s’adressant à une douzaine de gens du peuple.

Oui, mes amis, oui, on s’est emparé de notre maître… on s’est assuré de sa personne ; et pendant qu’on vous trompait par de belles paroles il était arrêté… emprisonné de nouveau. À nous, les amis !

  1. Raton, Rantzau.
  2. Marthe, Jean, des gens du peuple qui sont entrés pendant que d’autres restent au fond.