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Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/23

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GŒLHER.

Des gens du peuple qui se disputent… ou se battent dans la rue ; ne voulez-vous pas les priver de ce plaisir-là ! ce serait cruel, ce serait tyrannique ; et nous avons à parler de choses bien plus importantes, de notre mariage, dont je n’ai pas encore pu vous dire un mot, et du bal de demain, et de la corbeille, qui ne sera peut-être pas achevée… car je ne vois que cela de terrible dans les émeutes et les révoltes, c’est que les ouvriers nous font attendre, et que rien n’est prêt.

CHRISTINE.

Ah ! vous n’y voyez que cela de fâcheux… vous êtes bien bon… moi qui ce matin me suis trouvée au milieu du tumulte…

GŒLHER.

Est-il possible !

CHRISTINE.

Oui, monsieur ; et sans le courage et la générosité de M. Éric Burkenstaff qui m’a protégée et reconduite jusqu’ici…

GŒLHER.

M. Éric !… et de quoi se mêle-t-il ? et depuis quand lui est-il permis de vous protéger ?… voilà, à coup sûr, une prétention encore plus étrange que celle de monsieur son père.

JOSEPH, entrant et restant au fond.

Une lettre pour monsieur le baron.

GŒLHER.

De quelle part ?

JOSEPH.

Je l’ignore… celui qui l’a apportée est un jeune militaire, un officier, qui attend en bas la réponse.

CHRISTINE.

C’est quelque rapport sur ce qui se passe.

GŒLHER.

Probablement. (Lisant.) « Je porte une épaulette ; monsieur le baron de Gœlher ne peut plus me refuser une satisfaction qu’il me faut à l’instant. Quoique insulté, je lui laisse le choix des armes et l’attends aux portes de ce palais avec des pistolets et une épée. — Éric Burkenstaff, Lieutenant au 6e d’infanterie. » (À part.) Quelle insolence !

CHRISTINE.

Eh bien !… qu’y a-t-il ?

GŒLHER.

Ce n’est rien ! (Au domestique.) Laissez-nous… dites que plus tard… je verrai. (À part.) Encore une leçon à donner !

CHRISTINE.

Vous voulez me le cacher… il y a quelque chose… il y a du danger… j’en suis sure à votre trouble.

GŒLHER.

Moi, troublé !

CHRISTINE.

Eh bien ! montrez-moi ce billet et je vous croirai.

GŒLHER.

Impossible, vous dis-je !

CHRISTINE, se retournant et apercevant Koller.

Le colonel Koller ! il sera moins discret, je l’espère, et je saurai par lui.


Scène II.

CHRISTINE, GŒLHER, KOLLER.
CHRISTINE.

Parlez, colonel ; qu’y a-t-il ?

KOLLER.

Que l’insurrection que l’on croyait apaisée recommence avec plus de force que jamais.

CHRISTINE, à Gœlher.

Vous le voyez. (À Koller.) Et comment cela ?

KOLLER.

On accuse la cour, qui avait promis la liberté de Burkenstaff, de l’avoir fait disparaître pour s’exempter de tenir cette promesse.

GŒLHER.

Eh ! mais, ce ne serait pas déjà si maladroit !

CHRISTINE.

Y pensez-vous ?

(Elle court à ta croisée, qu’elle ouvre, et regarde, ainsi que Gœlher. )

KOLLER, à part et seul sur le devant.

En attendant, nous en avons profité pour soulever le peuple. Herman et Christian, mes deux émissaires, se sont chargés de ce soin, et j’espère que la reine-mère sera contente. Nous voilà sûrs de réussir sans que ce maudit comte de Rantzau y soit pour rien.

CHRISTINE, regardant à la fenêtre.

Voyez, voyez là-bas ! la foule se grossit et s’augmente ; ils entourent le palais, dont on vient de fermer les portes. Ah ! cela me fait peur !

(Elle referme la fenêtre. )
GŒLHER.

C’est-à-dire que c’est inouï !… Et vous, colonel, vous restez là ?

KOLLER.

Je viens prendre les ordres du conseil, qui m’a fait appeler, et j’attends.

GŒLHER.

Mais c’est qu’on devrait se hâter. La reine et toutes ces dames vont être effrayées, j’en suis certain… et l’on ne pense à rien… on devrait prendre des mesures.

CHRISTINE.

Et lesquelles ?

GŒLHER, troublé.

Lesquelles ?… Il doit y en avoir… il est impossible qu’il n’y en ait pas !

CHRISTINE.

Mais enfin, vous, monsieur, que feriez-vous ?

GŒLHER, perdant la tête.

Moi !… Écoutez donc… vous me demandez là à l’improviste. Je ne sais pas.