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Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/24

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CHRISTINE.

Mais vous disiez toul-à-l’heure.

GŒLHER.

Certainement… si j’étais ministre… mais je ne le suis pas… je ne le suis pas encore… cela ne me regarde pas ; et il est inconcevable que les gens qui sont à la tête des affaires… des gens qui devraient gouverner… que diable ! dans ce cas-là, on ne s’en mêle pas. Voila mon avis… c’est le seul… et si j’étais de la reine, je leur apprendrais…


Scène III.

CHRISTINE, GŒLHER ; RANTZAU, entrant par la porte du fond ; KOLLER.
GŒLHER, courant à lui avec empressement.

Ah ! monsieur le comte, venez rassurer mademoiselle, qui est dans un effroi… j’ai beau lui répéter que ce ne sera rien, elle est toute émue, toute troublée

RANTZAU, froidement et le regardant.

Et vous partagez bien vivement ses peines… cela doit être… en amant bien épris. (Apercevant Koller.) Ah ! vous voilà, colonel !

KOLLER.

Je viens prendre les ordres du conseil.

GŒLHER, vivement.

Qu’a-t-il décidé ?

RANTZAU, froidement.

On a beaucoup parlé, délibéré ; Struensée voulait qu’on entrât en arrangement avec le peuple.

GŒLHER, vivement et avec approbation.

Il a raison ! pourquoi l’a-t-on mécontenté ?

RANTZAU.

M. de Falkenskield, qui est pour l’énergie, voulait d’autres arguments ; il voulait faire avancer de l’artillerie.

GŒLHER, de même.

Au fait ! c’est le moyen d’en finir ; il n’y a que celui-là.

RANTZAU.

Moi, j’étais d’un avis qui a d’abord été généralement repoussé, et qui forcément a fini par prévaloir.

KOLLER, CHRISTINE et GŒLHER.

Et quel est-il ?

RANTZAU, froidement.

De ne rien faire… c’est ce qu’ils font.

GŒLHER.

Ils n’ont peut-être pas tort, parcequ’enfin, quand le peuple aura bien crié.

RANTZAU.

Il se lassera.

GŒLHER.

C’est ce que j’allais dire.

KOLLER.

Il fera comme ce matin.

RANTZAU, s'asseyant.

Oh ! mon Dieu, oui…

GŒLHER, se rassurant.

N’est-il pas vrai ?… Il brisera les vitres, et voila tout.

KOLLER.

C’est ce qu’ils ont déjà fait à tous les hôtels des ministres. (À Gœlher.) Ainsi qu’au vôtre, monsieur.

GŒLHER.

Eh bien ! par exemple !

RANTZAU.

Quant au mien, je suis tranquille ; je les en défie bien.

GŒLHER.

Et pourquoi cela ?

RANTZAU.

Parceque depuis la dernière émeute, je n’ai pas fait remettre un seul carreau aux fenêtres de mon hôtel. Je me suis dit ; Ça servira pour a première fois.

CHRISTINE, écoutant près de la fenêtre.

Cela se calme, cela s’apaise un peu[1].

GŒLHER.

J’en étais sûr ! Il ne faut pas s’effrayer de toutes ces clameurs-là. Et qu’en dit mon oncle, le ministre de la marine ?

RANTZAU, froidement.

Nous ne l’avons pas vu. (Avec ironie.) Son indisposition, qui n’était que légère, a pris depuis les derniers troubles un caractère assez grave. C’est comme une fatalité ; dès qu’il y a émeute, il est au lit, il est malade !

GŒLHER, avec intention.

Et vous, vous vous portez bien ?

RANTZAU, souriant.

C’est peut-être ce qui vous fâche. Il y a des gens que ma santé met de mauvaise humeur et qui voudraient me voir à l’extrémité.

GŒLHER.

Eh ! qui donc ?

RANTZAU, toujours assis et d’un air goguenard.

Eh ! mais, par exemple, ceux qui espèrent hériter de moi.

GŒLHER.

Il y en a qui pourraient hériter de votre vivant.

RANTZAU, le regardant froidement.

Monsieur de Gœlher, vous qui, en qualité de conseiller, avez fait votre droit, avez-vous lu l’article 301 du Code danois ?

GŒLHER.

Non, monsieur.

RANTZAU, de même.

Je m’en doutais. Il dit qu’il ne suffit pas qu’une succession soit ouverte ; il faut encore être apte à succéder.

GŒLHER.

Et à qui s’adresse cet axiome ?

  1. Koller quitte la droite du théâtre, remonte et va à gauche regarder à la fenêtre, ainsi que Christine. Christine, Koller, près du balcon ; Gœlher debout, Rantzau à droite s’asseyant.