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Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/3

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bite rougeur ; puis, avec une force dont je ne l’aurais pas cru capable, il a appelé, il s’est écrié : La reine !… la reine ! qu’elle vienne ! je veux lui parler !

KOLLER.

Ô ciel !

LA REINE.

Quelques instants après, a paru Mathilde, avec cet air que vous lui connaissez. Cet air d’amazone… la tête haute, le regard superbe, et laissant tomber sur moi un sourire de triomphe et de dédain. Je suis sortie et j’ignore quelles armes elle a employées pour sa défense ; mais ce matin elle et Struensée sont plus puissants que jamais ; et cet édit qu’elle a arraché au faible monarque, cet édit que publie aujourd’hui la Gazette royale, donne au premier ministre, à notre ennemi mortel, toutes les prérogatives de la royauté.

KOLLER.

Pouvoir dont Mathilde va se servir contre vous, et je ne doute pas que dans sa vengeance…

LA REINE.

Il faut donc la prévenir. Il faut, aujourd’hui même. (S’arrêtant.) Qui vient là ?

KOLLER, regardant au fond.

Des amis de Struensée ! le neveu du ministre de la marine, Frédéric de Gœlher… puis M. de Falkenskield, le ministre de la guerre ; sa fille est avec lui !

LA REINE.

Une demoiselle d’honneur de la reine Mathilde. Silence devant elle !


Scène III.

GŒLHER, CHRISTINE, FALKENSKIELD, LA REINE, KOLLER.
GŒLHER, entrant en donnant la main à Christine.

Oui, mademoiselle, je dois accompagner la reine dans sa promenade ; une cavalcade magnifique ! et si vous voyiez comme sa majesté se tient à cheval !… c’est une princesse bien remarquable… ce n’est pas une femme !…

LA REINE, à Koller.

C’est un colonel de chevau-légers.

CHRISTINE, à Falkenskield.

La reine-mère ! (Elle salue ainsi que son père et Gœlher.) Je me rendais chez vous, madame.

LA REINE, avec étonnement.

Chez moi !

CHRISTINE.

J’avais auprès de votre majesté une mission.

LA REINE.

Dont vous pouvez vous acquitter ici.

FALKENSKIELD.

Je vous laisse, ma fille ; j’entre chez le comte de Struensée… chez le premier ministre.

GŒLHER.

Je vous suis ; je vais lui présenter mes hommages et ceux de mon oncle, qui est ce matin légèrement indisposé.

FALKENSKIELD.

Vraiment !

GŒLHER.

Oui ; hier soir il avait accompagné la reine Mathilde sur son yacht royal… et la mer lui a fait mal.

LA REINE.

À un ministre de la marine !

GŒLHER.

Ce ne sera rien.

FALKENSKIELD, apercevant Koller.

Ah ! bonjour, colonel Koller ; vous savez que je me suis occupé de votre demande.

LA REINE, bas à Koller.

Vous leur demandiez.

KOLLER, de même.

Pour éloigner leurs soupçons.

FALKENSKIELD.

Il n’y a pas moyen dans ce moment ; la reine Mathilde nous avait recommandé un jeune officier de dragons.

GŒLHER.

Charmant cavalier, qui au dernier bal a dansé la hongroise d’une manière ravissante.

FALKENSKIELD.

Mais plus tard nous verrons ; il est à croire que vous serez de la première promotion de généraux, en continuant à nous servir avec le même zèle.

LA REINE.

Et en apprenant à danser !

FALKENSKIELD, souriant.

Sa majesté est ce matin d’une humeur charmante !… elle partage, je le vois, la satisfaction que nous donne à tous la nouvelle faveur de Struensée. J’ai l’honneur de lui présenter mes respects.

(Il entre à droite avec Gœlher.)

Scène IV.

CHRISTINE, LA REINE, KOLLER.
LA REINE, à qui Koller a approché un fauteuil à droite.

Eh bien ! mademoiselle, parlez. Vous veniez.

CHRISTINE.

De la part de la reine.

LA REINE.

De Mathilde !… (Se tournant vers Koller.) Qui déjà, sans doute, dans sa vengeance…

CHRISTINE.

Vous invite à vouloir bien honorer de votre présence le bal qu’elle donne demain soir en son palais.

LA REINE, étonnée.

Moi !… (Cherchant à se remettre.) Ah ! il y a demain à la cour… un bal.