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Page:Servières - Richard Wagner jugé en France, 1887.djvu/90

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qu’on écoute encore lorsqu’on ne l’entend plus ! »

M. Champfleury exprima ainsi son admiration pour le prélude de Lohengrin : — « Le fragment de Saint-Graal est un de ceux qui m’ont le plus frappé par son mysticisme religieux et le frémissement de chanterelle des violons à la fois doux, clair et transparent comme du cristal. L’orchestre s’anime peu à peu et arrive à une sorte d’apothéose rayonnant qui transporte l’auditeur dans des mondes inconnus, »

À propos de ce prélude, il est curieux de comparer, comme le fait Baudelaire, les deux interprétations de ce morceau par Wagner lui-même et par Liszt[1] avec celle que suggère à l’auteur des Paradis dits artificiels sa propre imagination de poète : — « — Je me souviens que, dès les premières mesures, je subis une de ces impressions heureuses que presque tous les hommes imaginatifs ont connues par le rêve, dans le sommeil. Je me sentis délivré des liens de la pesanteur et je retrouvai le souvenir de l’extraordinaire volupté qui circule dans les lieux hauts. Notons en passant que je ne connaissais pas le programme cité tout à l’heure. Ensuite, je me peignis involontairement l’état délicieux d’un homme en proie à une grande rêverie, dans une solitude absolue, mais une solitude avec un immense horizon et une large lumière diffuse ; l’immensité sans autre décor qu’elle-même. Bientôt j’éprouvai la sensation d’une clarté plus vive, d’une intensité

  1. Tannhœuser et Lohengrin, 1 vol., Leipsig, 1831.