Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/251

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
245
ACTE IV, SCÈNE V.

laërtes. — Mélancolie et abattement, désespoir, enfer même, tout en elle tourne en charme et en grâce.

ophélia. — (Elle chante.)

Et ne reviendra-t-il pas ? et ne reviendra-t-il pas ? Non, non, il est mort ! Va à ton lit de mort ! Il ne reviendra jamais. Sa barbe était blanche comme la neige, sa tête toute blonde comme le fin ; il est parti, il est parti, et nous gémissons en vain. Dieu fasse miséricorde à son âme !…

Et à toutes les âmes chrétiennes !… Je prie Dieu… Dieu soit avec vous !

(Elle sort.)

laërtes. — Voyez-vous ceci, ô Dieu !

le roi. — Laërtes, je dois converser avec votre douleur, ou vous me refuseriez un droit qui m’appartient. Retirons-nous seulement. Faites choix de qui vous voudrez parmi vos plus sages amis ; ils entendront et jugeront entre vous et moi. Si, par action directe ou collatérale, ils nous trouvent compromis, nous vous livrons notre royaume, notre couronne, notre vie et tout ce que nous disons nôtre, pour vous faire satisfaction. Mais, s’il n’en est rien, résignez-vous à nous prêter votre patience, et nous travaillerons en commun avec votre âme pour lui donner les contentements qui lui sont dus.

laërtes. — Qu’il en soit donc ainsi. Le genre de sa mort, son obscur enterrement, point de trophée, ni d’épée, ni d’écusson sur son cercueil, point de rite nobiliaire, ni d’appareil officiel, tout cela me crie, comme une voix qui se ferait entendre de ciel en terre, que je dois en demander compte.

    d’Ophélia qui croit les violettes flétries par la mort de son père ? Après ce cliquetis rapide d’allusions, quand ce babil à double entente va fatiguer, quand Shakspeare a fini de nous peindre la folle et veut nous rendre la fille, un mot jaillit, ou pour mieux dire une larme de pure poésie, une seule, et c’est assez, car la sobriété même et la grâce des Grecs les plus délicats ne sont point étrangères à cet impétueux génie du Nord. Bion avait dit, comme Shakspeare, dans l’élégie sur la mort d’Adonis : « Et toutes avec lui, quand il mourut, toutes les fleurs aussi se fanèrent. »