d’autre sujet de querelle avec Rome que l’injustice de t’avoir banni, nous ferions marcher tous les Volsques, depuis l’âge de douze ans jusqu’à celui de soixante-dix ; et nous porterions la guerre, comme un torrent débordé, jusque dans les entrailles de cette ville ingrate. Oh ! viens, entre, et serre la main de nos sénateurs : tu trouveras en eux des amis ; ils sont ici à prendre congé de moi. J’étais prêt à marcher, non pas encore contre Rome même, mais contre son territoire.
coriolan.—Dieux ! vous me rendez heureux.
aufidius.—Ainsi, toi le plus absolu des hommes, si tu veux te charger toi-même de diriger tes vengences, prends la moitié du commandement : tu connais le fort et le faible de ton pays ; nul ne le saurait faire comme toi. Tu décideras toi-même s’il faut aller frapper droit aux portes de Rome, ou l’ébranler dans les parties les plus éloignées, s’il faut l’épouvanter avant de la détruire. Mais entre : permets que je te présente à des hommes qui seront en tout dociles à tes vues. Mille et mille fois le bienvenu ! Je suis plus ton ami que je n’ai jamais été ton ennemi ; et, Marcius, c’est dire beaucoup.—Ta main : sois le bienvenu !
premier esclave.—Il s’est fait ici un étrange changement.
second esclave.—Sur ma foi, j’ai failli le frapper : mais certain pressentiment m’arrêtait et me disait que ses habits n’accusaient pas la vérité.
premier esclave.—Quel bras il a ! Du bout du doigt il m’a fait tourner comme un sabot.
second esclave.—Moi, j’ai bien vu à son air qu’il y avait en lui quelque chose… Il avait dans la figure un je ne sais quoi… je ne trouve pas de mot pour exprimer mon idée.
premier esclave.—Oui, tu as raison : un regard… Que je sois perdu si je n’ai pas vu, à sa mine, qu’il était plus qu’il ne paraissait.
second esclave.—Et moi aussi, je le jure. C’est tout uniment l’homme du monde le plus extraordinaire.