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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/486

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CORIOLAN.

coriolan.—Comme un acteur imbécile, j’ai déjà oublié mon rôle ; je reste court, et suis tout prêt d’essuyer un affront complet.—Ô toi, la plus chère partie de moi-même, pardonne à ma tyrannie ; mais ne me dis jamais : Pardonne aux Romains.—Oh ! donne-moi un baiser qui dure autant que mon exil, qui soit aussi doux que me l’est la vengeance.—Par la reine jalouse des cieux, le baiser, ma bien-aimée, que tu me donnas en partant de Rome, mes lèvres fidèles l’ont toujours depuis conservé pur et vierge.—Ô dieux ! je me répands en vaines paroles, et je laisse la plus respectable mère de l’univers, sans l’avoir encore saluée.—Tombe à genoux, Coriolan, et montre ici un sentiment de respect plus profond que les enfants vulgaires. (Il se met à genoux.)

volumnie.—Ô lève-toi, mon fils, et sois béni des dieux ! c’est moi qui tombe à genoux devant toi sans autre coussin que ces cailloux, et qui te montre un respect déplacé entre une mère et son enfant. (Elle s’agenouille.)

coriolan.—Que faites-vous ? Vous, à genoux devant moi ! devant le fils dont vous avez châtié l’enfance ! Alors que les cailloux du rivage stérile attaquent les étoiles ; que les vents mutinés arrachent les cèdres orgueilleux et les lancent contre l’orbe de feu du soleil : c’est supprimer l’impossible que de faire naturellement ce qui ne peut pas être.

volumnie.—Tu es mon guerrier ; j’ai contribué à te former à la guerre.—Connais-tu cette femme ?

coriolan.—Oui, la noble sœur de Publicola ; l’astre le plus doux de Rome, chaste comme la neige la plus pure que l’hiver suspende au temple de Diane : chère Valérie.

volumnie.—Voici un imparfait abrégé de vous deux (montrant le jeune Marcius), qui, développé et agrandi par les années, pourra ressembler en tout à son père.

coriolan.—Que le dieu des guerriers, de l’aveu du souverain Jupiter, remplisse ton âme de noblesse ! Deviens invulnérable à la honte, et parais un jour sur les champs de bataille, comme le phare brillant sur le bord des mers, qui brave tous les coups de l’orage et sauve ceux qui le voient !