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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/502

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APPENDICE.

qu’après avoir vu une copie dérobée de sa pièce entre les mains des libraires, accompagnée d’un privilège obtenu par surprise (Préface des Précieuses ridicules). Quant à Shakspeare, il semble avoir lui-même répudié assez explicitement la première édition de Hamlet, en ajoutant au titre de la seconde que cette dernière était imprimée d’après le texte « véritable et complet. » Qu’on se rappelle aussi que le texte de la seconde édition, quoique daté de 1604, a été certainement écrit en 1600, comme le démontrent les paroles de Rosencrantz, sur les comédiens nomades, et « la récente innovation » (Voir acte II, sc. ii, et la note, p. 283) ; Shakspeare, à coup sur, n’aurait pas fait imprimer, en 1603, le Hamlet de 1589, quand, depuis trois ans déjà, il en avait écrit et en faisait jouer un autre approprié à de nouveaux faits et pleins de nouveaux développements. Le Hamlet, de 1603, a donc été publié en dehors de lui : Shakspeare est bien l’auteur de la pièce, mais il n’est point garant de l’édition ; ni lui ni sa troupe ne devaient plus veiller bien jalousement, en 1603, sur les manuscrits d’un texte qu’ils ne jouaient plus, et la conclusion presque forcée de ces remarques est que le premier Hamlet, tel que nous l’avons, est une spéculation de quelque libraire-pirate, une publication furtive, composée en partie d’après des fragments d’un texte abandonné, en partie d’après des notes et des souvenirs.

Ainsi, il est imprudent de considérer toutes les différences qui distinguent le second Hamlet du premier, comme des additions ou des modifications que Shakspeare lui-même ait voulues. Quelles sont, parmi ces différences, celles dont il n’est point responsable et qu’il faut attribuer à l’origine discréditée du premier texte ? C’est un choix à peu près impossible à faire, ce sont autant de points minutieux et litigieux qui ne permettent pas, pour la plupart, de rien affirmer. Il nous serait surtout difficile de faire sentir à travers la traduction ce que nous sentons en lisant dans le texte certains passages du premier Hamlet. Voulez-vous, par exemple, prendre la peine de comparer au passage correspondant du second Hamlet (acte Ier, sc. ii, p. 146), les quelques lignes que voici ? « Le Roi : Et maintenant, Laërtes, quoi de nouveau de votre côté ? Vous avez parlé d’une requête. Quelle est-elle, Laërtes ? — Laërtes : Mon gracieux seigneur, votre permission favorable, maintenant que les rites funéraires sont tous accomplis, pour avoir congé de retourner en France ; car, encore que la faveur de votre grâce fût bien faite pour m’arrêter, il y a quelque chose cependant qui murmure dans mon cœur, et par quoi mon esprit et mes désirs sont tous tendus vers la France. » Il y a ici, entre le premier et le second