Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 10.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
53
INTRODUCTION.

sons pour eux-mêmes. Même j’ai souvent souhaité de m’appauvrir pour pouvoir me rapprocher de vous. Nous sommes nés pour faire le bien, et quelle chose pouvons-nous appeler nôtre plus justement que la fortune de nos amis ? Ah ! quelle garantie c’est pour nous de pouvoir en frères disposer de nos richesses ! »

Cependant l’heure de l’épreuve approche. Cette fête fabuleuse, où les cinq sens et Cupidon ont salué Timon comme leur protecteur, a épuisé les dernières ressources du patricien. Les coffres, où s’engouffrait le Pactole, sont à sec ; l’hypothèque et l’usure ont dévoré ce domaine, vaste comme un État, qui s’étendait d’Athènes à Lacédémone. La dette criarde hurle aux portes. Le Mécène magnifique « qui avait Plutus pour intendant » n’est plus qu’un misérable. Flavius, les sanglots dans la voix, accourt révéler à son seigneur la triste vérité. Mais, en présence de la catastrophe. Timon conserve l’intrépidité sublime de sa candeur. Il reproche à son majordom, une douleur qu’il ne s’explique pas. Il rappelle avec le calme d’une conscience pure qu’il n’a pas à se reprocher de honteuse générosité : — J’ai donné imprudemment, jamais ignoblement. Pourquoi pleures-tu ? manques-tu de confiance au point de croire que je manquerai d’amis ? Rassure-toi, si je voulais puiser aux réservoirs de l’amitié et sonder par des emprunts le dévouement des cœurs, je pourrais disposer des hommes et de leur fortune, comme je t’ordonne de parler.

— Puisse l’évidence bénir votre opinion !

— Et cette nécessité même où je suis est une élection auguste que je regarde comme une bénédiction. Vous verrez combien vous vous méprenez sur ma fortune : je suis riche par mes amis ! Holà ! quelqu’un ! Flaminius ! Servilius !

Et Timon appelle à son aide toute cette Athènes qu’il a entretenue si longtemps. Hélas ! il s’adresse à une cité