Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
SONNETS.

nombres gracieux sont déchus, et ma muse malade cède la place à une autre.

Je conviens, doux amour, que ton aimable sujet mérite le travail d’une plume plus digne ; pourtant ce qu’invente sur toi ton poëte, c’est à toi qu’il le dérobe pour te le restituer.

Il te prête la vertu, et il a volé ce mot-là à ta conduite ; il te donne la beauté, et il l’a trouvée sur ta joue : il ne peut t’apporter un éloge qui ne respire en toi.

Donc, ne le remercie pas de ce qu’il dit, puisque c’est toi-même qui acquittes sa dette envers toi.

CI

Comment ma muse pourrait-elle manquer de sujet tant que de ton souffle tu verses dans mon vers ton ineffable argument, trop parfait pour être confié à un papier vulgaire ?

Oh ! remercie-toi toi-même, si tu trouves chez moi rien qui vaille la peine que tu le lises ; car quel est l’être assez muet pour ne rien pouvoir te dire, quand toi-même tu donnes la lumière à son invention ?

Sois pour lui la dixième Muse, dix fois plus puissante que ces neuf vieilles invoquées par les rimeurs : et celui qui t’invoquera produira des nombres éternels qui survivront aux dates lointaines.

Si ma muse légère charme l’avenir curieux, qu’à moi en soit la peine, mais à toi l’éloge !