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Page:Signac - D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme, 1911.djvu/52

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DE DELACROIX AU NÉO-IMPRESSIONNISME

monie morale. Maniant cette science au gré de son inspiration, il décide telle ou telle combinaison, fait dominer telle ou telle couleur, selon le sujet qu’il veut traiter. — Toujours sa couleur a un langage esthétique conforme à sa pensée. Le drame qu’il a conçu, le poème qu’il veut chanter, c’est d’une couleur toujours appropriée qu’il les exprimera. Cette éloquence du coloris, ce lyrisme de l’harmonie, c’est la grande force du génie de Delacroix. — Grâce à cette compréhension du caractère esthétique de la couleur, il pourra, avec quelle sûreté et quelle ampleur, exprimer son rêve et peindre, tour à tour, les triomphes, les drames, les intimités et les douleurs.

L’étude du rôle moral de la couleur dans les tableaux de Delacroix nous entraînerait trop loin. Contentons-nous de signaler la Mort de Pline, exprimée par les accords lugubres d’un violet dominant, le calme de Socrate et son démon familier, obtenu par le parfait équilibre des verts et des rouges. Dans Muley-abd-er-Rahman entouré de sa garde, le tumulte est traduit par l’accord presque dissonant du grand parasol vert sur le bleu du ciel, surexcité déjà par l’orangé des murailles. Rien ne peut répondre mieux au sujet des Convulsionnaires de Tanger, que l’exaltation de toutes les couleurs, poussée dans cette toile jusqu’à la frénésie.

L’effet tragique du Naufrage de Don Juan est dû à une dominante vert glauque foncé, assourdie par des noirs