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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/127

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de marcher. Il avoue d’ailleurs que de temps en temps quelques étrangers abordaient sur la côte, mais quand il les priait de le ramener en son pays, ils lui faisaient comprendre qu’il n’était pas un passager ordinaire[1]. Ainsi s’expliquait ce fait inexplicable qu’après dix ans d’abandon Philoctète fût encore resté dans son île maudite.

Et la guerre continua : Achille succombe, Ajax se suicide, les Grecs n’arrivent à rien. Ils demandent à Calchas ce qu’il faut faire : celui-ci les renvoie à Hélénos. Ulysse capture ce fils de Priam et le devin leur déclare que pour prendre la ville, ils doivent amener Philoctète de Lemnos. Diomède va le chercher. Philoctète arrive, est guéri par Machaon et tue bientôt Paris. Quelque temps après, quand Déiphobe eut épousé Hélène, Ulysse[2] à son tour amena de Scyros Néoptolème et lui remit les armes de son père Achille.

Nous saisissons sur le vif la différence essentielle qui sépare l’épopée de la tragédie. L’une raconte, l’autre met en scène. Pour que nous ayons sous les yeux des êtres humains animés d’une vie réelle, il faut que les faits où ils sont engagés se lient, s’organisent, se combinent, s’opposent. L’antithèse des situations accuse l’antithèse des caractères.

Quel est le véritable sujet du Philoctète de Sophocle ? Le salut des Grecs, dans une situation grave, dépend uniquement d’un homme envers lequel ils se sont conduits comme des misérables. Telle est l’ironie du destin. Les choses sont retournées : la victime devient maîtresse de ses bourreaux[3]. Dans l’épopée les faits se suivent sans s’opposer. Un jour, on abandonne Philoctète ; un autre jour, on va le chercher. Il vient sans trop de résistance, semble-t-il, et les événements prennent un autre cours.

  1. Philoct. 305 sqq.
  2. Petite Iliade, p. 583 b (Didot). Cf. Odyssée, XI, 508 sq. — Cf. Philoct. 604 sqq.
  3. Cf. Jebb, dans son Introduction du Philoctetes, p. XIII.