Aller au contenu

Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Héraclès : l’épouse dolente restait au foyer et souffrait ; l’époux ne faisait aucune attention à elle et continuait glorieusement ses aventures.

Au théâtre, cela peut avoir des inconvénients. Toute notre sympathie va dans cette pièce à Déjanire. Héraclès ne nous intéresse que médiocrement malgré ses cris[1]. Est-ce bien l’impression qu’a voulu produire Sophocle ? En aucune manière. Héraclès est chez lui le grand héros thébain[2] auquel toutes les entreprises, même les plus périlleuses, sont permises, puisqu’elles lui réussissent. Il incarne l’être humain en ce qu’il a de plus généreux et de plus fort : il purge l’Univers de tous les monstres prodigieux qui l’encombrent. Seulement, pour les exterminer, il est obligé d’oublier sa femme. Au temps de sa légende, cela n’avait aucune importance : la femme n’existait pour ainsi dire pas. Au temps de Déjanire son rôle commençait à grandir. Euripide, ce poète inquiet, qui avait des yeux si clairvoyants et un esprit si raisonneur, critiquait les femmes, les exaltait aussi et, en tout cas, ne les oubliait point. Elles prenaient de plus en plus dans la littérature une place à côté de l’homme. Sophocle suivit le courant nouveau : il étudia sa Déjanire. Il fit d’elle un portrait tout en demi-teintes, qu’il emprunta à la réalité de son temps. Nous voyons le visage de cette femme qui n’est plus jeune[3], ses gestes un peu las[4], ses yeux qui connaissent les larmes[5], son corps que des maternités successives ont affaissé[6]. Et comme ces portraits-là sont très rares dans la littérature du vᵉ siècle, celui-ci nous attire infiniment. Nous l’étudions

  1. Cf. Tycho v. Wilamowitz-Môllenforff, Die dramatische Technik des Sophohles, IV, Trachinierinnen, p. 154 sqq.
  2. Trach. 116, 510 sq. Cf. Hésiode, Théogonie, 530.
  3. Trach. 547 sq. Cf. 4 sq.
  4. Trach. 141 sqq.
  5. Trach. 50, 106 sq. 153. Cf. 919.
  6. Trach. 54. Cf. 1147 sqq. — Le scholiaste et Apollodore II, 7, 8 donnent quatre fils à Déjanire, Diodore IV, 37, trois. Hyllos était l’ainé.