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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/254

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NOTICE

un oracle avait annoncé à Laïos qu’il mourrait de la main de son fils, avant que ce fils fût né. Donc, par la volonté des dieux, Œdipe était voué à ce crime, même avant d’exister. Quand pour son malheur il naquit à la lumière, il en vint aux mains avec son père : se rendait-il compte alors de ce qu’il faisait ? Mais le père n’avait-il pas le premier frappé[1] ? Le fils n’était-il pas en cas de légitime défense ? Créon, à sa place, n’aurait-il pas agi comme lui ? Et quant à son inceste, Œdipe savait-il, après avoir deviné l’énigme de la Sphinx, que Jocaste, quand il l’épousa, était sa mère ? Qu’est-ce qui constitue la faute ? La volonté seule. Quand on commet cette faute malgré soi, on est innocent[2]. Ici, les dieux ont tout conduit. Et Œdipe, sûr de son raisonnement, conclut que l’âme de son père, si elle revenait à la vie, n’aurait rien à lui objecter[3], c’est-à-dire que l’accusé, ce qui est d’une belle audace, en appelle à sa victime pour se faire acquitter.

Créon ne répond rien ; que pouvait-il répondre ? Donc, la cause d’Œdipe est entendue, gagnée. C’est ce que constate le coryphée qui, résumant l’opinion générale, affirme que le vieillard est un homme de bien, dont les malheurs accablants méritent d’être secourus[4]. Et Thésée, donnant une sanction au débat, y met brusquement fin, en se constituant le protecteur d’Œdipe.

Or, si celui-ci est innocent, puisque les Grecs ne mettaient dans leur Hadès ni enfer[5], ni paradis, et qu’ils ne croyaient pas que ceux qui avaient injustement souffert pendant leur vie, étaient après leur mort dédommagés de leurs souffrances, les dieux, les justes dieux sont contraints, après

  1. Cf. Œd. R. 807 sqq.
  2. Νόμῳ καθαρός, cf. Œd. à Col. 548.
  3. Œd. à Col. 998 sq.
  4. Œd. à Col. 1014 sq.
  5. L’épisode de la Νεκυία où sont racontés les supplices de Tityos, de Tantale et de Sisyphe est d’inspiration orphique et jamais à l’origine l’Hadès n’a été conçu comme un lieu de tortures. Cf. H. Diels, Himmels- und Höllenfährten von Homer bis Dante, Neue Jahrbücher, 1922, p. 241.