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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/253

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NOTICE

qui donne à l’Œdipe à Colone une valeur morale particulière et le caractère religieux qui lui est propre.

Pourquoi, dans sa longue vie, Œdipe a-t-il été si malheureux ? Méritait-il de l’être ? Était-il coupable ? C’est la question qui est annoncée, discutée, résolue dans la première partie de la tragédie, avant qu’Athènes donne asile au vieillard. Et quand le jugement est prononcé, il reste acquis : on n’y revient plus[1].

D’abord en face des Coloniates, avant comme après l’aveu de son origine, Œdipe se contente d’affirmer qu’il n’est qu’un malheureux, auquel le sort a été contraire[2] Comme les gens du chœur, qui ont les préjugés de la foule, manifestent une terreur déraisonnable à sa vue, Antigone, qui les supplie d’avoir pitié de son vieux père, proclame hautement qu’aucun être humain, quand la divinité le conduit à sa perte, ne peut y échapper[3] : ce qui ne veut pas dire qu’Œdipe, coupable, ait mérité ses malheurs.

Ces restrictions, ces protestations qui deviennent de plus en plus pressantes[4], préparent le véritable plaidoyer qu’Œdipe prononce devant Créon, son accusateur, devant Thésée, son juge, devant les choreutes qui représentent la foule et son opinion moyenne. Cette fois, les arguments sont réunis en un faisceau unique et toute la question de la culpabilité d’Œdipe est rationnellement discutée[5].

Que lui reproche-t-on ? Son parricide, son inceste. Or,

  1. Il est, en effet, fort remarquable qu’après le plaidoyer final d’Œdipe (960-1013) il ne soit plus dit dans la pièce un seul mot de cette culpabilité.
  2. Œd. à Col. 144 sqq., 202, 222, 224.
  3. Œd. à Col. 252 sqq. — Ces paroles d’Antigone s’accordent donc parfaitement avec ce qu’a dit Œdipe, et on ne comprend point les scrupules de certains critiques anciens qui, dit le scholiaste, supprimaient toute la monodie d’Antigone et les quatre trimètres du coryphée (237-257) sous prétexte qu’Œdipe devait d’abord par des raisons solides, τῷ δικαιολογικῷ, essayer de se justifier aux yeux des choreutes : les raisons solides viendront plus tard. — Didyme conservait ces vers et il avait raison.
  4. Œd. à Col. 265 sqq. 516, 521 sqq. 538 sqq. 547 sq.
  5. Œd. à Col. 960-1013.