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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/105

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PHORBAS.
Je périrai plus tôt si j’explique les faits !


ŒDIPE.
Cet homme, je le vois, ne cherche que délais.


PHORBAS.
N’ai-je point avoué tout cet affreux mystère...

Cet enfant...

ŒDIPE.
Était-il à toi ? suis-tu son père ?


PHORBAS.
Il n’était pas à moi....


ŒDIPE.
Mais qui te le remit ?


PHORBAS.
Seigneur, au nom des Dieux, j’en ai déjà trop dit !


ŒDIPE.
C’est fait de toi, s’il faut t’interroger encore !


PHORBAS.
Il naquit au palais de ce roi qu’on honore

Et qu’on regrette hélas !

ŒDIPE.
D’un esclave ou d’un roi ?


PHORBAS.
Dure nécessité ! c’en est donc fait de moi[1] ?

Si je parle, je meurs.

ŒDIPE.
Moi je meurs à t’attendre[2] !

Et cependant ce fait il me le faut entendre !

  1. Malheur à moi ! hélas ! voilà ce qu’il y a de plus terrible pour moi à dire !
  2. Ce dernier trait achève la peinture du caractère d’Œdipe : c’est cette obstination mêlée de fureur qui, en l’éclairant, le précipite dans le malheur. Il y aurait trop à remarquer sur les gradations et sur les nuances de cette scène, au-dessus de toutes celles de ce genre qui existent au théâtre.
    On a vu comment la fureur d’Œdipe et ses injustices et son opiniâtreté se développent, et à chaque instant le plongent plus au fond de l’abîme. Si ses malheurs avaient été mis au jour, sans que son caractère bien connu eût un peu affaibli la pitié du spectateur, ils auraient trop révolté, ils seraient tombés dans cet excès d’horreur qu’Aristote, en philosophe critique et observateur, a eu soin de proscrire du théâtre. « La curiosité, dit Plutarque (De la Curiosité), enveloppa Œdipus en de très-grands maux, etc. »
    Il est intéressant de consulter ce passage et de le lire dans le style naïf d’Amyot. Joignez l’emportement à la curiosité, et vous avez le caractère d’Œdipe.